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Si proches au 20e siècle, les journaux et les partis politiques luxembourgeois se sont peu à peu éloignés pour en arriver aujourd'hui à une distinction revendiquée – même si le passé leur colle à la peau.
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À consulter les unes des principaux quotidiens du Grand-Duché le lendemain des élections législatives, il serait difficile de repérer les inclinations politiques des uns et des autres. "Le Luxembourg a voté pour le changement", titrait sobrement le Luxemburger Wort, tandis que le Tageblatt écrivait "Gambie est de l'histoire ancienne" (Gambia ist Geschichte). Rien ne laisse paraître les liens historiques du premier avec le CSV et du second avec le LSAP. Et pourtant ces racines existent et ont solidement perduré jusqu'à encore récemment. Outre les deux titres mentionnés, le Lëtzebuerger Journal était associé au DP, Grénge Spoun (aujourd'hui Woxx) à déi gréng et la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek au parti communiste KPL – le seul qui assume et revendique encore cette parenté puisqu'il reste aujourd'hui rédigé et dirigé par Ali Ruckert, président du KPL.
"Le Parti de la droite, l'Église et le Wort : c'est le triumvirat qui dominait la vie politique depuis le suffrage universel."
Romain Hilgert, ancien rédacteur en chef du Lëtzebuerger Land
En réalité ce ne sont pas les partis qui ont créé des journaux sous leur coupe, mais quasiment l'inverse. "Le Wort a 175 ans cette année : il a été créé en 1848 au moment de l'abolition de la censure au Grand-Duché", rappelle Roland Arens, journaliste de longue date au Wort et son rédacteur en chef depuis 2017. "Au Luxembourg – et pas seulement au Luxembourg – la plupart des journaux étaient antérieurs aux partis", souligne Romain Hilgert, ancien rédacteur en chef du Lëtzebuerger Land et auteur en 2004 de l'ouvrage de référence sur la presse grand-ducale : Les journaux au Luxembourg 1704–2004, commandé par le Service information et presse du gouvernement. "Le Wort est plus ancien que le Parti de la droite (prédécesseur du CSV, ndlr), tout comme le Tageblatt (né en 1913) est issu de la mouvance sociale-démocrate et syndicale antérieure au LSAP. Et c'est surtout vrai pour les libéraux : la presse libérale était hégémonique durant tout le 19e siècle à travers le Courrier du Grand-Duché puis la Luxemburger Zeitung qui est restée le plus grand journal jusqu'à la Première Guerre mondiale. Mais avant cette guerre, le parti libéral n'existait pas en tant que tel, c'étaient plusieurs factions qui s'entretuaient et refusionnaient."
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le paysage politique s'est recomposé. "Le gouvernement parti en exil au Portugal puis au Canada était très impopulaire quand il est revenu, la population avait l'impression qu'il avait mené la belle vie pendant qu'elle subissait l'occupation nazie", relate M. Hilgert. "C'était un tour de force de reprendre le pouvoir pour les partis de gouvernement." En particulier pour le parti social-démocrate (prédécesseur du LSAP) parti à l'étranger alors que le parti communiste dominait les grandes usines. Le Parti de la droite, en effet, pouvait compter sur deux soutiens de poids : l'Église et le Wort. "C'était le triumvirat qui dominait la vie politique au Grand-Duché depuis le suffrage universel (acquis en 1919, ndlr). L'Église avait aussi une armée d'associations laïques : les scouts, les femmes chrétiennes-sociales, les artisans… Le paysage était largement verrouillé par la droite au centre et au nord du pays tandis qu'au Sud les partis de gauche dominaient." Un découpage correspondant exactement à celui du lectorat des journaux : les terres du CSV étaient acquises au Wort, les autres au Tageblatt et à la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek. Le Lëtzebuerger Journal, né de la fusion de l'Obermoselzeitung et de l'Unio'n en 1948, accompagne la reformation du mouvement politique libéral sous le nom de Groupement démocratique.
Romain Hilgert
Les coalitions se succèdent au pouvoir – le CSV invariablement en parti le plus fort, le Groupement démocratique et le LSAP se relaient comme partenaire junior. Chaque journal soutient le parti dont il est l'organe officiel. "Dans les années 1960, le rédacteur en chef du Journal était également député libéral et membre du bureau de la Chambre des députés", se souvient Marc Spautz, député CSV, dont le père Jean Spautz siégeait à la Chambre à l'époque. "Et avant la Deuxième Guerre mondiale, le vicaire général était vice-président du groupe parlementaire CSV et rédacteur chef du Wort. Plus tard, Jacques Poos était député et rédacteur en chef du Tageblatt." Des liens très étroits existaient donc entre les journaux et leurs partis de tutelle.
"Jusqu'à la fin des années 1960, les journaux étaient assez opportunistes et soutenaient les coalitions", note M. Hilgert. "Mais en mai 1968, les syndicats ne voulaient plus des éternelles coalitions conservatrices soutenues par le parti socialiste. Alors le Tageblatt s'est un peu dissocié du parti socialiste qui a aussi connu une scission entre parti ouvrier social et parti social-démocrate. Le Tageblatt est devenu un journal plus à gauche, il était contre la guerre du Vietnam, pour le mouvement étudiant et surtout il soutenait les syndicats, c'est-à-dire son propriétaire (la Centrale du LAV, prédécesseur de l'OGBL, ndlr), pour une offensive sociale afin de moderniser la société conservatrice dominée par le CSV."
Des clivages qui s'atténuent
Les années 1960 et 1970 étaient encore caractérisées par des différences très marquées entre les partis. "À l'époque c'était plus important d'être un bon militant que d'être un bon journaliste et il y avait assez peu de journalistes formés dans des écoles étrangères", ajoute M. Hilgert. "La dernière grande guerre idéologique date de la coalition entre libéraux et socialistes entre 1974 et 1979. Le Wort et le CSV tiraient à boulets rouges sur le Tageblatt et sur le gouvernement." Il s'agissait en effet de la première coalition sans le CSV depuis la Deuxième Guerre mondiale – et d'une coalition qui a donné un coup d'accélérateur aux réformes sociétales si difficiles voire impossibles à obtenir avec les chrétiens-sociaux comme l'abolition de la peine de mort, le droit à l'avortement ou le divorce sans faute. "Ensuite la crise sidérurgique a forcé une entente nationale pour sauver la sidérurgie et l'économie nationale", reprend M. Hilgert. "Il n'y avait plus de partis, seulement des Luxembourgeois qui payaient des impôts pour sauver la sidérurgie."
Mais si les clivages politiques et idéologiques se sont atténués, les journaux et les partis restaient proches. "Dans les années 1980, les liens entre partis et journaux étaient encore très étroits", glisse Armand Back, rédacteur en chef du Tageblatt. "Il y avait un journaliste du Tageblatt assis à la table dans les commissions du LSAP, et c'était la même chose pour le Wort et le CSV." D'ailleurs en 1976 ce n'est autre que le directeur du Tageblatt, Jacques Poos (député depuis 1970), qui entre au gouvernement comme ministre des Finances avant d'y retourner comme vice-Premier ministre en 1984 aux côtés de Jacques Santer.
"Nous sommes bien sûr un journal proche du syndicat et des actions de l'OGBL, non pas parce qu'ils émanent de l'OGBL mais parce que nos idées sont les mêmes."
Armand Back, rédacteur en chef du Tageblatt
Pour M. Hilgert, le Wort s'avérait en réalité davantage attaché à son actionnaire, l'archevêché, qu'au CSV. "Le Wort a toujours été presque plus à droite que le CSV. C'était le journal du clergé, d'une Église plus conservatrice. Il est souvent oublié que le Wort défendait des positions très conservatrices et réactionnaires dans ses pages étrangères : il soutenait l'apartheid en Afrique du Sud, le putsch de Pinochet au Chili et aussi la guerre du Vietnam. Il avait des correspondants très réactionnaires à travers le monde. C'était l'époque de [André] Heiderscheid (prêtre et administrateur-délégué du groupe Saint-Paul, ndlr) et [Léon] Zeches (rédacteur en chef, ndlr), qui étaient très très très à droite."
En 1988 naît le dernier rejeton de la famille des journaux liés à un parti : Grénge Spoun. "Son nom est un jeu de mots désignant aussi bien du vert-de-gris qu’un marmot écologiste ou inexpérimenté", commente l'ouvrage Les journaux au Luxembourg. Plusieurs député·e·s déi gréng – qui a fait son entrée à la Chambre des députés en 1984 – écrivent dans le mensuel dédié à la protection de l'environnement et à la culture alternative. Mais en 2000 le magazine coupe le cordon avec le parti et, désireux de s'ouvrir à un plus large lectorat, prend le nom de Woxx. Il revendique d'ailleurs sur son site être "un organe de presse indépendant des partis et de l'économie".
Roland Arens
C'est à la même période que commencent à basculer les journaux luxembourgeois historiquement proches d'un parti. La Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek prend évidemment un coup dans l'aile à la disparition de l'URSS, tout comme le KPL qui fait ses adieux à la Chambre des députés en 1994. Le Wort, lui, connaît une décennie fructueuse. "Dans ses années glorieuses, le Wort était la vache à lait de l'épiscopat", raconte M. Hilgert. "Il détenait un quasi-monopole sur les annonces de presse tandis que les parts de marché du Tageblatt et du Journal restaient marginales. Il publiait les annonces des commerces, les avis mortuaires, les petites annonces… Il a enregistré des tirages historiques dans les années 1990 avant de les voir dégringoler. Il a ensuite connu des problèmes financiers très graves et lancé plusieurs plans sociaux afin de licencier des journalistes et des ouvriers de l'imprimerie."
Les années 2000 marquent parallèlement une première brèche sérieuse entre le Wort et le CSV. "Quand le CSV s'est rajeuni à travers [Jean-Claude] Juncker, le Wort est devenu plus ou moins critique vis-à-vis du gouvernement, du parti et de Juncker", poursuit M. Hilgert. "Il a prononcé cette fameuse phrase : 'Mon bureau est à l'ombre de la cathédrale et je suis interrompu à chaque fois que ses cloches sonnent'. Cela a été très mal vu par le clergé. À l'époque, M. Juncker était jeune et moderne de façon provocante. Il a toujours joué avec l'image que lui n'était pas un Paf (cureton, ndlr). Mais comme l'Église avait perdu beaucoup de membres, elle avait besoin du soutien du CSV au gouvernement pour défendre l'instruction catholique à l'école et le fait que l'État payait les prêtres."
L'actionnaire du Wort a donc aussi assisté avec effarement au vote de la loi sur l'euthanasie, issue d'une proposition de loi LSAP-déi gréng mais reprise par le gouvernement Juncker-Asselborn I. "Juncker a permis ce vote parce qu'il a libéré les députés CSV de la consigne de vote. Et ils ont voté pour", rappelle M. Hilgert. "Le Wort était contre, tout comme il était contre les ouvertures voulues par le CSV sur l'avortement et le divorce."
Des problèmes économiques à l'émancipation politique
Parallèlement à ce début de prise de distance du Wort vis-à-vis du CSV – ou inversement –, les médias luxembourgeois ont été confrontés comme leurs homologues des pays voisins à une mutation économique d'ampleur. La démocratisation d'internet a en effet détourné une partie des recettes publicitaires auparavant acquises aux journaux, qu'elles proviennent des annonceurs ou des particuliers. Et en parallèle, les journaux se sont tiré une balle dans le pied en donnant accès gratuitement à tous les articles sur leur site internet. "C'est une éducation que les journaux ont ratée", déplore M. Hilgert. "À l'époque tout le monde découvrait internet, ils ont tout mis gratuitement en ligne et ensuite il était trop tard pour mettre un mur [payant]."
Aucun journal du Grand-Duché n'a été épargné par des difficultés économiques, qu'il s'agisse des mastodontes comme le Wort et le Tageblatt, vaisseaux amiraux de groupes diversifiés, ou d'acteurs plus modestes comme le Lëtzebuerger Journal – qui n'avait d'ailleurs jamais connu de période vraiment faste économiquement parlant, lui qui a failli disparaître en 1964, étranglé par les tarifs de l'Imprimerie Centrale. Après la phase d'expansion est venue celle du repli : en 2011, le Wort cesse de publier La Voix du Luxembourg, son édition papier francophone, puis Point24, son quotidien gratuit censé concurrencer L'Essentiel. Editpress réagit plus tard en fermant le Jeudi en 2019, son hebdomadaire dont le tirage papier a toujours été gonflé par rapport au lectorat réel – 15.532 exemplaires imprimés pour 1.618 numéros achetés en 2017 selon le Centre d'information sur les médias (CIM, Belgique).
C'est un choc puisque deux de ces publications bénéficiaient de l'aide à la presse, cet outil garant du pluralisme que le gouvernement DP-LSAP avait institué en 1976 afin de soutenir les journaux face au tout-puissant Wort – qui en est encore aujourd'hui le premier bénéficiaire. "L'aide à la presse luxembourgeoise est forte au Luxembourg – sa masse équivaut à celle des États autrichien ou belge, sur un marché bien plus petit", explique Christian Lamour, chercheur au Liser et auteur de plusieurs publications sur la presse luxembourgeoise. "Si vous n'aidez pas la presse, elle disparaît et ce n'est pas bon pour la démocratie."
Ces difficultés économiques expliquent en grande partie la mutation politique accélérée des journaux luxembourgeois. "La logique de distanciation entre médias et partis politiques est liée à une tendance lourde dans le journalisme qui fait que comme le lectorat diminue, les journaux se positionnent comme une presse d'information et non d'opinion afin de drainer le lectorat le plus large possible", indique M. Lamour. "Dans beaucoup de sujets, on ne distingue pas la couleur politique associée au journal." Le Media Pluralism Monitor 2022 avance une autre tendance de fond : "Le métier de journaliste demandant de plus en plus de polyvalence, le journaliste spécialisé en politique est devenu rare et va beaucoup moins sur le terrain, ce qui a pour effet de limiter les rencontres entre politiques et journalistes."
"L'aide à la presse luxembourgeoise est forte au Luxembourg – sa masse équivaut à celle des États autrichien ou belge, sur un marché bien plus petit."
Christian Lamour, chercheur au Liser
C'est ainsi qu'en 2012, confronté à un effondrement de ses chiffres, le Lëtzebuerger Journal a fait l'objet d'un "relaunch" entre les mains de son rédacteur en chef depuis 2005 Claude Karger. "Nous avons réalisé une série d'analyses sur le marché et sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait se dégager de cette idée que le Lëtzebuerger Journal était l'organe officiel du DP – inscrit comme tel dans les statuts du parti. Nous voulions nous ouvrir à de nouvelles franges du lectorat et d'autres réflexions ont également joué comme les langues et la présence sur internet." Mais sans moyens conséquents investis, l'échéance n'a été que retardée avant que le quotidien ne replonge en 2020, plombé par la chute des publicités dans le contexte du Covid-19. C'est sur internet exclusivement que le Journal a connu une renaissance début 2021. Officiellement radié des statuts du DP, il mène une nouvelle ligne éditoriale indépendante.
Même l'Église s'est résignée à lâcher du lest sur la ligne éditoriale du Wort. "L'Église s'est dit : c'est dramatique pour nous en tant que croyants mais nous devons débrider le Wort pour rester concurrentiels", explique M. Hilgert. C'est ainsi que Marc Glesener et Jean-Lou Siweck ont tenté à partir de 2013 la voie d'un journal conservateur moderne. "Ils ont échoué après quelques années. C'est Luc Frieden (devenu président du conseil d'administration en 2016, ndlr) qui a tiré le frein." M. Siweck quitte le Wort à l'automne 2017 en raison de "divergences sur la ligne éditoriale". Des salarié·e·s indiquent en interne que l'ancien ministre des Finances CSV reproche à M. Siweck "un coup de balancier vers la gauche" et de s'être "éloigné du CSV". Une version que réfute Roland Arens, nommé rédacteur en chef à la suite de M. Siweck. "C'est une impression souvent répétée que je ne peux confirmer. Mais je dois remarquer que la ligne éditoriale du Wort écrite sous son impulsion n'a pas changé à ce jour."
Christian Lamour
M. Arens revendique en effet "une diversité à l'intérieur de la rédaction et surtout une diversité d'opinions avec notamment l'ouverture des pages d'opinion à des contributions pas du tout en ligne avec la ligne éditoriale du journal voire avec une certaine ligne politique", et ce dans l'optique d'"informer le lecteur". En tout cas le CSV a bien enregistré le changement de cap du Wort. "Lorsque j'ai analysé les élections législatives de 2018, j'ai écrit que nous n'avions plus le soutien du Wort comme lors des précédentes élections", remarque Marc Spautz. "Alors que chez les socialistes, le Tageblatt était vraiment objectif mais avait de nouveau pris un petit virage six semaines avant les élections, ce qui est compréhensible – le LSAP est un des actionnaires." Ainsi en février 2023, lorsque le CSV a annoncé avoir choisi Luc Frieden pour porter ses couleurs aux législatives, c'est un portrait sans concession qu'a brossé la journaliste Michèle Gantenbein dans le Wort sous le titre non dénué d'ironie "Le sauveur du CSV" (Der Heilsbringer der CSV).
De fait, l'Église a coupé ses liens matériels avec le groupe Saint-Paul en le cédant à l'éditeur flamand Mediahuis en 2020 après avoir abandonné à un laïc – Luc Frieden – le conseil d'administration en 2016. La "vache à lait" n'est plus qu'un souvenir même si le communiqué de Mediahuis prend soin de préciser que "les médias" [de Saint-Paul] continueront de couvrir les sujets religieux et la communication de l’Église avec tout le professionnalisme" nécessaire.
Des idées proches
Si le Tageblatt compte toujours le LSAP dans son actionnariat – 2,12% selon Paperjam (numéro d'octobre 2020) –, il ne se considère plus depuis longtemps comme le journal du parti ni d'ailleurs comme le journal du syndicat OGBL. "Le LSAP est le premier parti à s'être rendu compte qu'il n'avait plus de journal", note M. Spautz. La crise économique et financière de 2008, qui a réellement frappé le Luxembourg trois ans après, est passée par là. Le budget d'austérité concocté par Luc Frieden, ministre des Finances du gouvernement Juncker-Asselborn II, est chahuté par les fractions parlementaires du CSV et du LSAP, mais les modifications apportées n'apaisent pas les critiques du Tageblatt. Tout comme les bipartites organisées en 2014 sous la coalition Gambie en lieu et place d'une tripartite, les partenaires sociaux ne trouvant aucun terrain d'entente pour affronter la crise au Grand-Duché.
"Le LSAP est un actionnaire très minoritaire et il n'est même pas impliqué [dans la vie du Tageblatt]", assure Armand Back. "Depuis que j'ai pris mes fonctions en novembre dernier, je n'ai jamais été contacté par des politiciens du LSAP pour me dire d'écrire ceci ou cela. Et s'ils le faisaient nous leur dirions que cela ne marche pas comme ça. Cela se déroulait autrement dans les années 1980 mais ce genre de relations a disparu il y a bien longtemps."
Audiovisuel
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C'est une incongruité historique qui continue de poser question au 21e siècle : pourquoi trois sièges du conseil d'administration de CLT-UFA, la maison-mère de RTL Luxembourg, sont-ils occupés par des hommes et femmes politiques ? Au moment de rédiger ces lignes, les trois heureux administrateurs se nommaient Gilles Baum (DP), Yves Cruchten (LSAP) et Claude Wiseler (CSV). Il se peut que le résultat des récentes élections législatives conduise à un jeu de chaises musicales puisque M. Cruchten n'a pas été réélu à la Chambre tandis que M. Wiseler, réélu, pourrait bien endosser un ministère dans le prochain gouvernement. Non réélu, M. Baum devrait cependant bénéficier de la nomination au gouvernement de l'un·e des député·e·s de sa circonscription (Est).
"Ce n'est pas inhabituel dans d'autres pays que des partis politiques soient représentés au conseil d'administration", souligne Oliver Fahlbusch, porte-parole de RTL Group. "Ils sont là en tant que membres de la société civile et cela tient à la mission de service public dévolue à RTL Luxembourg." Les détails de cet état de fait se trouvent dans le très secret accord de concession liant l'État à RTL Group.
RTL Luxembourg tient en tout cas à préciser ce que sa ligne éditoriale affirme : "Nous n'exerçons pas d'influence externe sur les reportages journalistiques d'actualité et ne succombons à aucune influence externe politique ou économique. (…) La direction en particulier n'interfère pas avec la prise de décision éditoriale ni ne restreint l'indépendance de notre personnel éditorial."
Le Tageblatt revendique une distance avec le LSAP – qu'il soit ou non au pouvoir durant la législature qui commence. "Nous serons vigilants par rapport au gouvernement et à ce qu'il va faire, mais aussi par rapport à ce que va faire le LSAP en tant que parti d'opposition." Politique mise à part, le journal d'Esch-sur-Alzette – maintenant installé à Belval – se revendique avant tout comme "un journal humaniste, qui se positionne à gauche de la société". Et se veut "vraiment indépendant de l'OGBL" – dirigé par Nora Back, la sœur d'Armand. "Ce n'était pas le cas il y a quelques années, depuis l'ère Siweck (qui a présidé le conseil d'administration entre 2017 et 2021) cela a beaucoup changé et nous sommes restés sur ce changement. Nous sommes bien sûr un journal proche du syndicat et des actions de l'OGBL, non pas parce qu'ils émanent de l'OGBL mais parce que nos idées sont les mêmes. C'est une question d'identité du journal, une identité nécessaire parce qu'être incolore, inodore et insipide ne mènerait à rien."
"Nous n'avons pas à prouver que nous ne sommes pas le porte-parole du CSV."
Roland Arens, rédacteur en chef du Luxemburger Wort
Les quatre journaux attelés à des partis que connaissait le Luxembourg (Luxemburger Wort, Tageblatt, Lëtzebuerger Journal et Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek) ont donc aujourd'hui coupé les ponts pour trois d'entre eux. Toutefois ce passé semble devoir leur coller à la peau. "Nous n'avons pas à prouver que nous ne sommes pas le porte-parole du CSV", martèle M. Arens en défendant la rédaction du Wort. "C'est une vision très biaisée tournée vers le passé que je peux comprendre mais qui ne correspond à aucune réalité." Idem du côté d'Armand Back : "Dans la rédaction, nous ne nous posons pas la question 'que va dire le LSAP ou l'OGBL ?'."
Ironie de l'histoire : c'est certainement quand même ce lien historique qui peut les sauver à terme. Car si partis et journaux ne sont plus liés, ils partagent des idées proches et ce relais dans l'opinion reste précieux pour les partis politiques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le gouvernement Bettel a réformé l'aide à la presse en 2021 après l'avoir déjà étendue aux sites d'information en ligne. "Abandonner un quotidien, c'est une perte de prestige politique", souligne M. Hilgert. Reste à voir si le nouveau régime d'aide à la presse, plus généreux pour la plupart des titres – sauf pour Le Quotidien –, permet de stabiliser le pluralisme des médias, élément clé d'une démocratie saine.