Wat mengs du ? – Pourquoi sortir est pour moi un acte de force

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"Chaque fois que je vais quelque part, une multitude de questions traverse ma tête." C'est ce que dit Marielle Molitor. Dans cette carte blanche, elle parle, du point de vue d’une personne en situation de handicap, des questions qu'elle se pose et de ce qu'elle souhaiterait de la part de notre société.

Puis-je me garer là-bas ? Y a-t-il une place de parking pour personnes handicapées ? Que faire si elle est occupée ? À quelle heure dois-je partir au cas où je ne trouverais aucune place à proximité ? Des gens devront-ils attendre à cause de moi ? Où est l'entrée ? Comment entrer dans le bâtiment ? Y a-t-il des escaliers et ont-ils une rampe ? Les toilettes sont-elles au rez-de-chaussée ou à un autre étage ? Y a-t-il un ascenseur ? Ai-je besoin d'une clé ? Peut-être est-il en panne ? Y a-t-il des endroits pour s'asseoir ? N'y aura-t-il pas trop de monde ? Y aura-t-il de la bousculade ? Devrai-je expliquer mes besoins à quelqu'un ? Puis-je demander de l'aide sans déranger ? Aurai-je assez d'énergie pour toutes les éventualités ? Ne devrais-je pas tout simplement éviter tout cela et rester à la maison, et ainsi économiser beaucoup d’énergie physique et mentale ?

J'ai 35 ans et j’ai été diagnostiquée à sept ans d’une maladie neuromusculaire progressive. Je peux marcher, mais pas loin ; je peux rester debout, mais pas longtemps ; et je n'utilise un fauteuil roulant que pour les longues distances, par exemple à l'aéroport. Je n'ai pas toujours dû me poser ces questions, car ma maladie s'est manifestée différemment au cours de différentes étapes de ma vie. Avec une maladie progressive, il est normal que de nouvelles questions apparaissent au fil du temps : d'une part parce que la maladie progresse, d'autre part à cause de mauvaises expériences.

Marielle Molitor

  • Marielle Molitor a étudié la littérature germanique et luxembourgeoise et enseigne le luxembourgeois depuis neuf ans.
    Pendant son temps libre, elle pratique surtout des loisirs tranquilles : regarder des séries, lire, peindre, câliner son chien, aller manger ou boire quelque chose… bref, tout ce qui permet de rester assise.
    Ce n'est que cette année qu'elle s'est réconciliée avec le sport : depuis qu’elle a découvert l'aquagym, un sport plutôt rare dans sa tranche d’âge. Elle est de loin la plus jeune du groupe.
    Marielle est aussi très présente en ligne. Parfois, elle sensibilise sur Instagram au validisme et aux injustices validistes, mais cela aussi demande de l'énergie – une énergie qui, avec une maladie chronique, n'est pas toujours là.
    Elle n'a toutefois pas l'intention d'arrêter d'attirer l'attention sur ces injustices.

Toutes ces pensées sont devenues naturelles pour moi, et je sais qu'elles sont nombreuses. Et encore, j'ai de la chance. Une personne en fauteuil roulant ne peut pas participer du tout s'il y a des escaliers et si l'ascenseur est en panne. Les personnes ayant d'autres handicaps se posent des questions tout à fait différentes. Mais nous avons tous quelque chose en commun : nous ne pouvons jamais savoir à quels obstacles nous allons être confrontés lorsque nous quittons notre logement, notre "safe space". Il m'arrive souvent de choisir l'option la moins fatigante : rester à la maison. Pourquoi ? Je ne rencontre aucun obstacle inattendu, je n'ai pas l’impression de déranger quelqu’un, et j'évite les micro-agressions et surtout toutes ces questions. Cela ne veut pas dire que, même à la maison, je ne me fais jamais de soucis à l’idée d’être un poids pour mes proches, ni que je ne rencontre jamais d’obstacles dans ma vie quotidienne à cause de mon handicap, de mon corps, de mon caractère, de mes peurs, etc.

Alors pourquoi est-ce que je me tracasse, s'il suffit de rester chez moi ? Eh bien, nous, les humains, avons besoin de contacts sociaux, et cela nous fait du bien de vivre de nouvelles expériences. Les routines sont confortables, mais la variété est bénéfique.

"Osez sortir, osez vous montrer, exprimer vos besoins, soyez parfois 'inconfortables' pour les autres, dites quelque chose, et même portez plainte si quelque chose ne fonctionne pas."

Marielle Molitor

J'ai écrit ce texte pour sensibiliser à cet aspect, à ces pensées et ces inquiétudes liées à la vie avec ma maladie et mon handicap. Participer à la vie sociale est un droit fondamental, et un lieu sans obstacles n’est pas un luxe.

Je voudrais aussi transmettre un message : que l’on fasse preuve de plus de compréhension pour ces obstacles. Je ne veux pas qu'on m'applaudisse chaque fois que je sors de chez moi. Je souhaite plus de patience, de compréhension, et des efforts pour nommer et éliminer ces barrières, afin que les personnes handicapées aient moins de peurs et d'inquiétudes dehors, ne se sentent pas comme un fardeau, et puissent se réjouir d’aller dans un endroit agréable. N'importe qui peut devenir handicapé à tout moment à la suite d’un malheureux accident, et au plus tard en vieillissant, nous dépendons tous d’un environnement dans lequel nous pouvons nous déplacer en sécurité. Alors pourquoi ne pas déjà lutter maintenant pour supprimer ces obstacles ?

"Validisme"

  • "Validiste" est la forme adjectivale de "validisme". Que les personnes handicapées soient discriminées au quotidien, beaucoup le savent : une entrée de bâtiment où il n’y a que des escaliers, un ascenseur qui reste en panne des semaines ou des mois, d’autres formes d’exclusion, etc. Mais le validisme va plus loin que la simple hostilité envers les personnes handicapées.
    Le terme est la traduction de "ableism", qui se compose de l’adjectif anglais able ("capable") et du suffixe -ism, et vient du Disability Rights Movement, le mouvement pour les droits des personnes handicapées des années 1980 aux États-Unis.
    La société prend comme norme un corps "capable", c’est-à-dire "normal". Une vision validiste suppose que tout le monde est comme cela, et que le monde est conçu pour cette norme. Le handicap est alors considéré comme "inférieur".
    Cette approche étend l’hostilité envers les personnes handicapées, dans un système capitaliste, à l’évaluation des capacités définies comme normes sociales. Cette idée de "normalité" dévalorise les personnes handicapées, car elles sont perçues comme celles qui ne sont pas capables.
    Que nous le voulions ou non, nous avons tous été socialisés dans un système validiste et nous sommes tous validistes, y compris les personnes handicapées elles-mêmes.

Pour terminer, un message aux personnes qui se trouvent dans une situation similaire à la mienne : osez ! Il est tellement important de faire de nouvelles expériences ! Osez sortir, osez vous montrer, exprimer vos besoins, soyez parfois "inconfortables" pour les autres, dites quelque chose, et même portez plainte si quelque chose ne fonctionne pas. Je sais que ce n’est pas toujours facile. Parfois, on n'a pas l'énergie, mais si elle est là un jour, faites-le. Notre société est socialisée dans le validisme et ce n'est qu’ainsi que nous pouvons attirer l'attention sur nos préoccupations. Ce n’est qu’ainsi que nos besoins parviennent à celles et ceux qui prennent les décisions. Beaucoup de choses ont déjà été faites ces dernières années, mais il reste encore du chemin.

Wat mengs du?

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