Wat mengs du? - Il faut que tout change pour que rien ne change

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Croissance en berne, modèle social sous tension : face aux défis, le réflexe du statu quo s’installe. Et si l’inaction était le vrai danger ? Dans sa carte blanche, Carlo Thelen plaide pour des réformes, non comme une menace, mais comme une condition pour préserver notre modèle.

Le 28 juin dernier, des milliers de personnes ont manifesté à travers le pays contre une série de mesures gouvernementales perçues comme une menace pour notre modèle social. Cette mobilisation traduit une inquiétude réelle, qu’il nous faut entendre. Mais elle traduit aussi, à certains égards, une forme de déni face aux transformations profondes que traverse notre pays. En refusant tout changement, en voulant engager notre pays dans l’impasse de l’immobilisme, certains semblent croire qu’il est possible de préserver notre modèle social sans l’adapter. C’est une illusion dangereuse.

À propos de l’auteur

  • Carlo Thelen, Directeur Général de la Chambre de Commerce du Luxembourg, a rejoint l'organisation en 1996 en tant que conseiller économique. En 2003, il intègre le comité exécutif de la Chambre de Commerce et en 2004, il est devenu directeur des affaires internationales. En 2014, il est nommé CEO, directeur général. Jusqu'en 2019, il a également été l'économiste en chef de la Chambre de Commerce, préparant et présentant chaque année l'avis de la Chambre de commerce sur le budget de l'État. Carlo Thelen est également l'auteur d'un blog d'experts notable qui met en lumière les questions socio-économiques importantes du moment, ainsi que d'articles publiés par la Chambre de Commerce. Il représente également la Chambre de Commerce dans différents groupes de travail et conseils au sein des institutions et organisations luxembourgeoises. En plus de son expertise économique, Carlo Thelen a une grande expérience en matière de plaidoyer commercial et économique et participe à des missions économiques à l'étranger où il promeut l'économie et les entreprises du Grand-Duché.

Nous sommes nombreux à être attachés au Luxembourg tel qu’il a prospéré ces trente dernières années : un pays ouvert, dynamique, productif, à forte croissance, résilient face aux crises. Mais ce Luxembourg-là n’existe plus, qu’on le veuille ou non. Pour continuer à préserver ce qui a fait sa force – sa prospérité partagée, sa protection sociale, sa stabilité – nous devons avoir le courage d’évoluer. Comme l’écrivait Lampedusa dans Le Guépard, "il faut que tout change pour que rien ne change".

Du cercle vertueux au cercle vicieux

Le modèle luxembourgeois, souvent perçu comme une réussite économique et sociale, reposait jusqu’ici sur un cercle vertueux : une forte croissance économique, dopée par la productivité, une main-d’œuvre frontalière abondante, une compétitivité élevée, et en retour, une redistribution sociale généreuse. Ce cercle vertueux a permis de maintenir un niveau de vie élevé et un état-providence solide.

"Réformer, ce n’est pas renoncer à notre modèle. C’est le seul moyen de le sauver."

Mais depuis quelques années, cet équilibre se fissure. Le Luxembourg figure désormais parmi les pays européens affichant la plus faible croissance. Le Statec, qui anticipait jusque-là 2,5% de croissance pour 2025, vient de revoir sa prévision à 1%. 2025 serait donc la quatrième année consécutive avec une croissance inférieure ou égale à 1%. Un fait inédit sur les 30 dernières années. Cette panne de croissance se lit dans les résultats du Baromètre de l’Economie du premier semestre, dont la Chambre de Commerce vient de publier les résultats. Le niveau de confiance des chefs d’entreprises dans l’économie luxembourgeoise, qui remontait légèrement au cours des deux semestres précédents, repart à la baisse, à seulement 65%, quand il atteignait 89% en 2019. Le cercle vertueux se transforme en cercle vicieux : la faible croissance mine la confiance, qui elle-même freine l’investissement et l’emploi, et donc les recettes fiscales du pays.

Dans le classement de compétitivité mondial  de l’institut IMD, cela fait maintenant sept ans que le Grand-Duché ne figure plus parmi les 10 économies les plus compétitives au monde (il est 20e en 2025 contre 6e en 2015). Ce recul n’est pas anecdotique : il doit nous alerter.

L’immense coût de l’inaction

Parallèlement, nos dépenses sociales augmentent plus vite que nos recettes fiscales, sous l’effet du vieillissement de la population et du ralentissement économique. Le système de pensions, notamment, doit faire face à une pression sans précédent. Comme le rappelle l’économiste Maxime Sbaihi, invité de notre forum "It’s the economy, stupid !", le 16 septembre à la Chambre de Commerce : "Les conséquences de la dénatalité et du vieillissement de la population sur nos systèmes de sécurité sociale sont monumentales. Ils n’ont pas été conçus pour faire face à la combinaison de ces deux chocs."

Ce jour-là, avec également d’autres intervenants prestigieux comme Enrico Letta ou Laurence Tubiana, nous poserons cette question essentielle : "Quel est le coût de l’inaction ?" Changer demande des efforts, des compromis, parfois du courage politique. Mais croyez-moi : ne rien faire est infiniment plus coûteux – économiquement, socialement et démocratiquement.

Réformer, ce n’est pas renoncer à notre modèle. C’est le seul moyen de le sauver. Face aux défis démographiques, climatiques, technologiques, nous devons sortir de la logique du blocage. Nous avons les moyens de bâtir un nouveau cercle vertueux, fondé sur l’innovation, la durabilité, la productivité, et une solidarité repensée. Mais pour cela, nous devons oser agir.

Wat mengs du?

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