Wat mengs du? – Chuchotements dans des salles pleines, un témoignage
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"J’ai avorté." "Moi aussi." Des mots d’un poids énorme – et pourquoi nous n’osons les prononcer qu’entre nos plus proches amies. Comment cela m’a sauvé la vie, et ce que cela fait de vivre avec. La peur de devoir – et/ou de ne plus pouvoir – le faire. Et surtout, pourquoi cela te concerne, toi aussi.
Je ne parle pas ici pour tout le monde. Ce n’est pas ma prétention, pas mon intention. Je parle pour moi. Peut-être aussi pour toi. En tout cas pour nous. Pour celles qui chuchotent dans des salles pleines.
À 22 ans, je suis tombée enceinte. Malgré la pilule. Tombée enceinte. C'est le bon mot. Parce que cela m’a aussi donné l’impression de tomber.
À 22 ans, j’ai avorté. Une interruption volontaire de grossesse. Pas parce que je le devais, mais parce que je le pouvais. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Parce que j’y étais autorisée. Pas parce que je pouvais décider de mon corps, de mon avenir, de ma vie – comme je le voulais. Mais parce qu’on m’a autorisée à décider de mon corps, de mon avenir, de ma vie. Quelqu’un a décidé que j’en avais le droit. Quelqu’un a décidé ce que j’avais le droit de faire et dans quelles conditions. Quelqu’un a décidé ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire avec mon corps.
C’était à Bruxelles, ma deuxième patrie. Parce qu’à 22 ans – donc en janvier 2012 – ce n’était pas possible au Luxembourg. Seulement en cas de détresse. "Je suis désolé, Madame. Il aurait fallu faire plus attention." J'étais assez grande pour être appelée Madame, mais pas assez pour savoir ce qui était le mieux pour moi. Mes ambitions, mes rêves, mes projets – mon droit à une bonne vie, à ma vie, le droit à une vie d’avenir pour mon enfant. Perdre tout cela, se le voir retirer : ah non, ce n’était pas une détresse suffisante.
De l’égoïsme, diras-tu peut-être. Une punition, je dirais plutôt. Une punition parce que j’aurais dû faire mieux, être plus avisée. Être plus responsable. Une erreur qu’on ne doit pas commettre. Je devrais avoir honte. Pour toujours. Et croire que c’est le plus beau cadeau du monde. Vous aviez raison.
Liz Thielen
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Liz est à la fois femme, amie, sœur, fille, entrepreneure, partenaire, maman d'un chien, rat de bibliothèque, mélomane et, selon à qui vous demandez, une "idéaliste radicale". Elle apprend à accepter toutes ces facettes – les contradictions, le chaos, la joie – comme faisant partie intégrante de la condition humaine.
Elle raconte des histoires pour gagner sa vie : des histoires sur les gens, la politique et tout ce qui se trouve entre les deux. Originaire d'un petit pays où les débats font rage, elle a passé des années à façonner des mots pour les autres. Aujourd'hui, grâce à Snakke & Co., elle travaille avec d'autres pour transformer les conversations en idées, et les idées en actions.
Au fond d'elle-même, elle croit que les histoires peuvent faire bouger les sociétés – et que le changement commence par le courage de parler de ce qui compte vraiment.
Aujourd’hui, à 35 ans, je sais que cela m’a sauvé la vie. Pas littéralement – et pourtant. J’ai continué mes études, travaillé à côté, et je me suis engagée pendant mon temps libre. J’ai découvert de nouvelles passions, trouvé mes talents. J’ai terminé mes études parmi les meilleures et prononcé le discours de fin d’année de ma promotion. Depuis, j’ai travaillé dans certains des endroits les plus inspirants du monde et marché sur les traces de géants. J’ai occupé de grandes responsabilités et toujours tenu la porte ouverte pour les autres. Tout cela, parce que j’y étais autorisée. J’ai aussi pu le faire, oui – mais seulement parce qu’y étais autorisée. À l’époque, seulement à Bruxelles ; quelques mois plus tard, aussi au Luxembourg.
Aujourd’hui, à 35 ans, je mesure encore plus la valeur de ce privilège. Parce que ce n’est pas une évidence, et que j’ai malheureusement peu d’influence légale sur ce droit. Aujourd’hui, et chaque jour depuis ce moment, je sais que c’était la seule bonne décision pour moi. Et pour l’enfant. C’était le seul choix responsable. Mais tout comme ce jour et ce moment m’accompagneront à jamais, la honte aussi. Et si quelqu’un le découvrait ? C’est pour cela que nous chuchotons. Aujourd’hui, je décide de ne plus chuchoter.
Alors. En résumé : il y a 13 ans, quand je voulais, je n’avais pas le droit ; quelques mois plus tard, quand je n’en avais plus besoin, j’aurais pu. Et demain, est-ce que toi, moi, ou nous, pourrons espérer avoir ce droit ? Eh bien, personne ne peut nous le garantir aujourd’hui.
Espérons que cela ne soit pas entre les mains de Dieu, car en l’an de grâce 2025, il a été déclaré ceci : pour le cardinal, ce serait un jour triste dans notre histoire si le droit à l’avortement était inscrit dans la Constitution. Garantir mon droit à disposer de mon corps dans notre Constitution serait donc, pour lui, un moment sombre de l’histoire de Son pays. Lui peut continuer à s’exprimer librement, c’est son droit. Mais que moi, je ne puisse pas décider librement de mon propre corps, cela va trop loin. Devant le Seigneur, nous sommes tous égaux. Enfin, sauf si l’on est une femme, apparemment. Alors, je ne peux faire que ce qu’Il m’autorise.
Je ne veux pas continuer ici à m’en prendre à notre honorable représentant de Dieu. Il n’est qu’un symbole. Il ne s’agit pas de Lui. Il s’agit de moi — et de toi. D’elle, et de lui. Il s’agit de nous tou·te·s. Il s’agit de la manière dont nous en parlons. Lui, il prophétise. Il avertit. Il sermonne. Et nous ? Nous chuchotons. Dans le cercle sacré. Entre nous. Quand on ose. "Moi aussi."
"Il y a 13 ans, quand je voulais, je n’avais pas le droit ; quelques mois plus tard, quand je n’en avais plus besoin, j’aurais pu. Et demain, est-ce que toi, moi, ou nous pourrons espérer avoir ce droit ? Eh bien, personne ne peut nous le garantir aujourd’hui."
Je suis complètement honnête. Nous sommes, après tout, entre nous. Pendant longtemps, je n’ai pas su si je voulais en parler ici. J’en ai le droit, et pourtant. En parler m’inquiète. Que je puisse agacer les gens. Pire : que ça leur soit égal. Encore ce sujet. Vous l'avez déjà, vous en avez déjà le droit, non ? Calmez-vous ! Mais ça me fait vraiment peur. Pour moi. Pour mon corps, pour ma sécurité. Pour mon travail. Pas seulement parce que je l’ai fait, mais parce que j’en parle. Les deux sont apparemment interdits.
À l’époque, quand on m’a donné le droit d’être autorisée, il a été dit sans détour à la Chambre des députés :"Nous sommes conscients que chaque avortement est un échec et que tout doit être fait pour l'éviter." Je donne raison à l’honorable représentant et rapporteur de la loi. Enfin, en partie. Si je pouvais, je ferais tout pour que vous n’ayez jamais à savoir ce que cela signifie de faire un avortement. Je souhaiterais épargner à tout le monde cette douleur. Physiquement. Moralement. Je ne souhaite cela à personne. Pas même à Lui.
Le qualifier d’échec, je trouve ça… disons… peu sympathique. Qui êtes-vous, pardon, où est mon respect, pour me dire qu’une des décisions les plus difficiles, importantes et justes de ma vie est un échec ? Alors expliquez-moi, s’il vous plaît : qu'est-ce que j'y aurais gagné ? Et qui y aurait gagné ? Mon enfant et moi, certainement pas. C’est censé nous concerner, apparemment. Non ? Juste pour vérifier.
En 2025, nous ne parlons plus (ou pas encore) de savoir si j’ai le droit ou non, mais de savoir si cela devrait compter comme l’un de mes droits fondamentaux. Pour que plus personne ne puisse décider si rapidement que je ne peux plus décider. Pourquoi est-ce si important ? Parce que pas plus tard que cette semaine, des propos similaires ont retenti en haut lieu, disant que ma volonté est une "idéologie impitoyable" qui "polarise, radicalise et met ainsi en danger la cohésion sociale." On parle de haine profonde, d’intolérance de ma part. Mon "opinion" ne serait apparemment pas assez noble. Quelle ironie. N’est-ce pas de ce sentiment que naît l’idée que je ferais mieux de ne pas savoir ce qui est le mieux pour moi ?
D’une certaine manière (et je dois l’admettre avec beaucoup d’effort), je peux encore ressentir un peu de compréhension pour le Seigneur. C’est une vision du monde radicalement différente de la mienne. Et pourtant, je reconnais son droit d’y être autorisé. Il a le droit de penser cela, il a le droit de le voir ainsi. Il a le droit d’avoir son opinion, tout comme moi.
Et c’est pourquoi je me battrai toujours pour une société dans laquelle chaque personne a les mêmes droits. C’est tout ce que je veux. Ce que nous voulons tou·te·s. Alors, je l’ai dit. Quelle radicale je fais. Désolée, je ne voulais marcher sur les pieds de personne. Je tends parfois à l’hystérie.
Wat mengs du?
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Mais honnêtement, quelque chose comme ça ne me choque pas, cela ne me surprend même plus. Cela me rend juste triste. Parce que celui·celle qui pense que c’est facile de prendre une telle décision ne sait rien. Nous y pensons toutes souvent et pendant longtemps. Des années et des décennies après. Nous chuchotons à ce sujet quand personne ne nous entend. "Moi aussi." Nous sommes vos amies, vos sœurs, vos mères, vos partenaires. Et aucune de nous n’était prête à avoir ce choix. Avoir le droit de faire ce choix. Pour nous-mêmes. Parce que c’était le seul bon choix, peu importe dans quel cas le choix a été pris. Même pour vous.
Il ne s’agit pas de vous convaincre qu’un avortement est "cool". Ou que vous devriez en faire un. Ou que vous devriez profiter de ce droit, qui est pour tout le monde. Pas fan des avortements ? N’en faites pas. Un choix simple. Le V dans IVG ne signifie pas rien – c’est pour "volontaire". Et cela va dans les deux sens. Un droit, pas un devoir. Je peux, je ne dois pas. Mais seulement tant que j’en ai le droit.
Et c’est ce que je veux de toi : que nous – et oui, cela t’inclut – travaillions pour que personne ne soit obligé, que chacun puisse, et que nous soyons tous autorisés. Ni plus, ni moins. Pas seulement aujourd’hui, mais aussi demain.
Il ne s’agit pas de diviser. L’un contre l’autre. Bien au contraire. Je souhaite plus d’empathie, plus de solidarité. Parce que nous – ce club “impitoyable” comme on nous appelait – sommes d’accord. Mais être seules entre nous ne suffit pas. "Prêcher un converti." Trop souvent, c’est encore le cas, malheureusement. C’était ma motivation pour ceci. Je veux pouvoir parler pour moi seule, mais ne pas devoir parler seule. Je veux que tu saches que tu n’es pas seul·e. Tout le monde est le bienvenu dans notre club. Et cela t’inclut. Comme c’était beau ce week-end de lire tant de femmes fortes. Du sexe fort, comme nous l’avons encore une fois montré. Où étais-tu ?
Personnellement, cela – comme je l’ai dit – m’a sauvé la vie. Et la vie de mon ancien partenaire aussi. Comme celle de sa famille actuelle. Et de la mienne future. Comme beaucoup d’autres. Femmes et hommes. Et c’est de cela qu’il s’agit pour moi. C’est mon corps, et le choix est le mien. Mais le droit d’avoir le choix. D’être autorisé. Cela nous concerne tous. Je compte sur toi. Parlons-en. Fort et avec une voix fière.