«Reconstruire une Europe plus équitable»

Par Camille FratiLex Kleren

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De passage à Luxembourg pour un dialogue citoyen en ligne axé sur les jeunes, le directeur de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE évoque avec le Lëtzebuerger Journal ses priorités mais aussi son point de vue sur le respect des droits de l’Homme au Luxembourg.

Récemment reconduit à la tête de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA) pour trois ans, l’Irlandais Michael O’Flaherty a quitté Vienne quelques jours pour rejoindre Luxembourg à l’occasion d’un des quatre dialogues citoyens en ligne en amont du Forum des droits fondamentaux, un événement bisannuel dont la session 2020 a été reportée à l’automne 2021 en raison de la pandémie de Covid-19. Près de 400 jeunes se sont connectés à la session mardi soir.

Le directeur de la FRA a prévu trois journées « intenses » au cours desquelles il rencontrera S.A.R. le Grand-Duc, les ministres Corinne Cahen, Jean Assselborn, Sam Tanson et Marc Hansen ainsi que la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés.

© European Commission

Michael O'Flaherty

Lëtzebuerger Journal : Quelles sont vos priorités pour ce nouveau mandat de trois ans à la direction de la FRA?

Michael O’Flaherty : La priorité de la FRA est de contribuer à reconstruire la société d’après-Covid-19. La pandémie a été et est dévastatrice pour les droits de l’Homme et surtout pour les personnes vivant en marge de la société. Nous sommes encore en pleine pandémie et nous imaginons à peine les conséquences économiques qui en découleront. Mais nous savons que ces conséquences se répercutent de manière très inégalitaire.

Ma mission est de contribuer à ce qu’on prête attention aux gens les plus à risque, les plus à la marge, qu’il s’agisse des 6 millions de Roms ou encore des migrants et des jeunes en général qui vont payer le prix de cette période – 40% des jeunes sont au chômage dans certains pays d’Europe, ce qui est très choquant. Il faut reconstruire une Europe plus équitable.

© European Commission

L’UE se veut précurseure en matière de droits de l’Homme, notamment avec la récente mise en place de rapports sur l’État de droit pays par pays par la Commission européenne. Voyez-vous l’EU comme un modèle pour le reste du monde?

M.O. : Mon point de vue personnel est que nous avons un système fort de protection des droits de l’Homme dans l’UE, à travers les traités, la Charte des droits fondamentaux – qui ne fait pas tout mais qui est un engagement fort et explicite – et la Convention européenne des droits de l’Homme qui a changé nos sociétés. D’ailleurs dans mon propre pays, certains droits ont été protégés à la suite de décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’UE peut être en ce sens un bon modèle. Et je ne connais aucune autre région dans le monde qui cherche à renforcer la situation de l’État de droit comme le fait l’UE.

Mais cela ne veut pas dire que l’UE peut dire aux autres pays du monde ce qu’ils font mal. Il faut que cela soit un partenariat. Je sais par expérience qu’il y a des défis et des succès partout dans le monde et il s’agit de nourrir ces succès. Nous avons beaucoup à enseigner mais aussi à apprendre du reste du monde.

 

« Le Luxembourg est l’un des très rares pays à faire explicitement référence aux droits de l’Homme dans sa prise de décision face à la pandémie de Covid-19. »

Michael O’Flaherty, directeur de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE

Le Luxembourg est-il un bon élève en matière de respect des droits de l’Homme?

M.O. : Je veux commencer par dire que le Luxembourg est un pays européen qui agit en bien en matière de protection des droits de l’Homme. J’ai constaté à plusieurs reprises que le gouvernement était très ouvert aux droits de l’Homme, qu’il s’engageait publiquement et était honnête quant à ses propres défis. C’est l’un des très rares pays à faire explicitement référence aux droits de l’Homme dans sa prise de décision face à la pandémie de Covid-19. Et c’est une très bonne pratique.

Après, personne n’est parfait nulle part et chaque pays a ses propres défis. De notre point de vue, celui du Luxembourg réside dans des efforts constants pour l’intégration et la lutte contre le racisme. Les personnes originaires de l’Afrique sub-saharienne qui vivent ici disent qu’elles expérimentent cette problématique. Un débat public a d’ailleurs eu lieu en 2019 (organisé par l'Asti après la publication de l’étude « Being Black in the EU », ndlr) et tendait à apporter plus d’attention à ces enjeux.

© Asti

Je voudrais ajouter que les habitants du Luxembourg ont montré un engagement pour les droits de l’Homme très supérieur à la moyenne européenne lors de notre sondage de l’an dernier sur l’attitude face aux droits de l’Homme dans l’UE. 72% des sondés au Luxembourg estiment que les droits de l’Homme s’appliquent à tous, contre 52% pour la moyenne européenne.

C’est donc un engagement extrêmement fort et très encourageant. Nous entendons parfois dire que les gens se moquent des droits de l’Homme mais nous voyons au Luxembourg que ce sens a infusé dans la population. Car cela veut dire aussi que la société fonctionne et que les gens se dressent pour protéger leurs droits.

Au Luxembourg, 67% des résidents considèrent que le respect des droits de l’Homme n’est pas un problème majeur contre 48% pour la moyenne européenne. Cela signifie que la société prend soin des gens. Avec toutefois une précaution : cela peut aussi vouloir dire que les gens ne font pas attention aux personnes qui vivent à la marge. Néanmoins c’est un bon départ.

Justement la ministre de l’Intégration, Corinne Cahen (DP), avait déclaré lors du débat public faisant suite à votre étude « Being Black in the EU » qu’elle était étonnée d’entendre des témoignages de personnes se disant victimes de discrimination. Ce qui est un peu le comble venant de la ministre en charge de ce sujet…

M.O. : C’est justement la mission centrale de mon agence : mettre les gouvernements devant la réalité en rassemblant des données, des témoignages, des comparatifs permettant de faire entendre la voix de ceux qui ne sont jamais entendus. Et la meilleure façon de reconstruire l’après-Covid-19 est de s’assurer que leurs voix sont entendues.