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La nouvelle année est l'occasion idéale de revenir sur 2023. Pour l'équipe du Journal, cela signifie se pencher sur plus de 600 articles ou podcasts publiés et au moins trois fois plus d'interviews menées. Chaque membre de l'équipe a choisi la contribution qui l'a le plus marqué·e.
C’est en parcourant la presse internationale qu’une affaire m’a particulièrement intéressée cette année, après tout ce n’est pas tous les jours qu’un·e Luxembourgeois·e fait la une des médias étrangers.
Marc Godart, jeune homme d’affaires à la tête d’un véritable empire immobilier familial, a fait l’objet d’une série d’articles dans la presse irlandaise. Ce dernier a expulsé illégalement et parfois brutalement des locataires de ses immeubles pour les transformer en location de courte durée. Le tout à Dublin, une capitale qui souffre d’une crise aigüe de l’immobilier et qui a lancé une véritable chasse à ce type de location.
Après en avoir discuté au sein de la rédaction du Journal, nous avions décidé que sans élément nouveau, il était difficile d’écrire un article. Mais l’idée de contacter une rédactrice en chef du Irish Times était lancée. Les journalistes locaux·ales connaissent très bien l’affaire et c’est pourquoi Olivia Kelly a accepté mon offre d’une interview audio par visioconférence. Elle nous a rappelé les enjeux de cette affaire qui passionne les médias irlandais. Elle nous a indiqué que c’est la première fois que son journal s'intéresse aux agissements d’un·e Luxembourgeois·e, ce qui n’est pas difficile à croire vu la taille de notre pays, mais que c’est aussi la première fois qu’elle enquête sur une personne qui possède un empire immobilier si important dans la capitale irlandaise.
L’interview audio a été publiée en avril dernier sur notre site. Quelques semaines plus tard, une victime de M. Godart, une ancienne locataire lésée qui a gagné une action en justice mais qui attend toujours que le propriétaire paie son amende, nous contacte. Elle est prête à témoigner et à nous mettre en relation avec d’autres victimes. Le voilà l’élément nouveau ! Entre-temps nous avons creusé grâce au registre des bénéficiaires effectifs (RBE) pour mieux comprendre les ramifications de l’empire Godart géré par Marc, ses parents et quelques proches. Des implications financières complexes qui ont nécessité l’aide d’avocats luxembourgeois et irlandais, d’une professeure de droit à l’université de Trinity College, pour mieux comprendre ce dont il est question dans cette affaire internationale. Côté luxembourgeois, on s’étonne des agissements de M. Godart, les propriétaires ne peuvent pas expulser manu militari des locataires, du "jamais vu" au Luxembourg, nous raconte Me Tomas Sackler.
"Côté luxembourgeois, on s’étonne des agissements de M. Godart, les propriétaires ne peuvent pas expulser manu militari des locataires, du 'jamais vu' au Luxembourg."
Les victimes Lizet et Francesca ont eu de lourdes conséquences personnelles après avoir eu affaire avec leur propriétaire. Ayant le droit avec elle, elles espèrent pouvoir un jour récupérer leur argent. Mais rien n’est simple dans cette affaire. Le volet international, avec des propriétés en Irlande mais des sociétés basées au Luxembourg au domicile des parents Godart, fait qu’il est difficile pour la justice irlandaise de traquer le propriétaire indélicat. Ce dernier se contente d’ignorer les courriers des avocats des victimes. Pour de relatives petites sommes, on parle ici pour chaque victime de plusieurs centaines voire quelques milliers d’euros, les frais d’avocats seront peut-être plus importants que les sommes demandées.
C’est cette injustice qui m’a le plus marquée cette année, ce sentiment de toute puissance de personnes malhonnêtes, poursuivies par la justice mais qui arrivent pendant un temps à s’en sortir grâce à des montages financiers complexes. Un feuilleton journalistique passionnant mais qui touche par les témoignages poignants des victimes.