La bourse joue les équilibristes

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L'année 2025 a été riche en rebondissements – et nous n'en sommes qu'en octobre. Tarifs imposés par Donald Trump, compétition autour de l'intelligence artificielle, tensions géopolitiques… Quels impacts sur les marchés boursiers ? C'est le sujet de l'actuel épisode du podcast Evergreens by Spuerkeess, désormais disponible sous forme d'article.

Bryan Ferrari et ses trois invités tirent le bilan sur la manière dont se sont comportés les marchés boursiers pendant les six premiers mois de l'année en cours. Vaut-il mieux s'éloigner des actions américaines ? Quel rôle joue l'intelligence artificielle ? Ou encore, le bitcoin est-il toujours d'actualité ?

Julien Kohn et Nick Huberty sont tous les deux Portfolio Manager chez Spuerkeess. David Schmit y est quant à lui Private Banking Advisor. Le récapitulatif d'un premier semestre bien rempli, depuis le balcon de la cour du 19 Lib.

Bryan Ferrari : Allons droit au but. Comment s'est passé ce semestre ?

Nick Huberty : Globalement bien. Réponse surprenante, je le reconnais. Ce matin, on a fait un point actualité avec les collègues des départements institutionnels. On leur a rappelé qu'à part un petit incident début avril – une correction d'environ 20 % en quelques jours, déjà presque sortie des esprits –, la performance est restée, à première vue, excellente sur les bourses. Je dis à première vue parce qu'il y a un petit bémol pour l'investisseur européen, l'euro qui s'est fortement apprécié face au dollar. Ça comprime la performance d'un portefeuille d'actions américaines pour un investisseur en euros. Autrement dit, ce que l'on voit au premier regard côté américain se traduit, pour un Européen, par une performance qui reste négative parce que l'euro a gagné quelque chose comme 15 % de valeur.

Nick Huberty

Bryan : L'année a débuté sur une note euphorique avec le US-Exceptionalism. Des entreprises hautement valorisées, mais America First. Donald Trump était sur le point de remettre de l'huile sur le feu et l'économie américaine allait continuer à croître. Puis un petit choc venu de Chine a conclu le mois de janvier, avec Deep Seek.

Julien Kohn : Oui, exactement. Une nouvelle intelligence artificielle. Une IA open source, d'après les premières annonces, au moins aussi performante que les américaines, pour des coûts bien inférieurs. Ça remet en question les investissements colossaux qu'on a vus ces dernières années chez les grands acteurs tech américains. On s'est demandé : est-ce que cela vaut vraiment le coup ? Et surtout, a‑t‑on absolument besoin de ces puces ultra‑puissantes fournies par Nvidia ? Ces investissements ont été remis en question. Même la valorisation de Nvidia a été discutée. Ça a provoqué une petite correction en bourse.

Bryan : Une grande partie des gains boursiers dépendant de l'IA. Si les Chinois peuvent faire aussi bien pour moins cher, des doutes surgissent…

Julien : Et ces doutes demeurent. Rien n'est encore vraiment confirmé. Est‑ce vraiment le cas ? Peuvent‑ils produire à moindre coût ? Leur IA est‑elle réellement au niveau de ce que nous avons en Occident ? Et, surtout, ces investissements massifs sont‑ils encore pertinents ? C'est ce qui a un peu perturbé le marché.

Nick : En termes de performance, on l'a senti. En février, les valeurs technologiques américaines ont sous‑performé de façon assez marquée. Depuis, la plupart sont revenues en force. 60 % de la performance du S&P 500 provient des Magnificent Seven. Et encore… Apple et Alphabet sont négatives cette année. Sans eux, l'effet serait encore plus extrême. Autrement dit, Nvidia et aussi Meta tirent une part démesurée de la performance du marché américain.

Bryan : Ensuite est venu le Liberation Day.

David Schmit : Le 2 avril, donc. Je pense que le marché avait déjà intégré une volatilité élevée sur les actions à l'échelle mondiale. Mais le 2 avril a malgré tout surpris, dans la mesure où les tarifs douaniers imposés par Donald Trump n'étaient pas anticipés dans ces proportions. Néanmoins, il a rapidement fait machine arrière avec une pause de 90 jours sur les tarifs et cela a redonné un peu d'air aux marchés. Même si, à ce stade, on ne sait pas encore comment cela va se déplier au second semestre. Chez les clients, le US-Exceptionalism est clairement questionné. Les positions américaines étaient très prépondérantes dans les portefeuilles et il y a une vraie demande pour se rééquilibrer, se diversifier davantage et adopter une allocation plus globale.

Bryan : On peut dire que nos clients ont largement profité des performances américaines exceptionnelles de ces dernières années, et qu'ils ont fini par avoir une sorte de "hangover" d'actifs US…

David : L'historique des dix dernières années plaide pour les marchés américains en termes de surperformance. Être sous‑pondéré ou pas investi du tout aux États‑Unis n'a clairement pas été un avantage tactique dans les portefeuilles. Mais avec le temps, il faut se demander si la pondération US n'est pas devenue un peu trop importante. Puis arrivent des événements comme les conflits commerciaux ou Deep Seek, qui amènent à reconsidérer les valorisations et à regarder ailleurs pour analyser plus finement et trouver des opportunités dans des secteurs quelque peu délaissés ces dernières années.

Bryan : En toute objectivité, je ne pense pas que ce soient le marché des actions qui ont poussé Trump à faire une pause sur les tarifs. C'est un autre marché qui lui a mis un peu la pression…

Julien : Celui des taux, oui. On sait que les États‑Unis ont une dette publique massive. Avec ce fameux American Exceptionalism, ils ont pu se financer bon marché et lever beaucoup d'argent. La crainte, c'est que cela ne dure pas éternellement. Le statu quo américain, et celui du dollar, est un peu remis en question. Les investisseurs ont vendu des obligations, les rendements sont montés. Plus les rendements montent, plus l'État américain paie cher le service de sa dette… alors qu'il est déjà très endetté. À long terme, ce n'est sans doute pas soutenable. Si les taux continuent de grimper, cela met l'économie et l'État sous pression. On a vu ce mouvement de hausse des taux aux États‑Unis, et c'est probablement ce qui a incité Donald Trump à calmer le jeu.

Julien Kohn

Bryan : D'ailleurs, Donald Trump n'est pas fan de son responsable de la politique monétaire. S'il le pouvait, il s'en chargerait lui-même…

Nick : Oui, il est intimement convaincu qu'il ferait mieux que Jerome Powell à la tête de la Réserve fédérale. Il y a quelque temps, dans un de ces fameux interviews sur la pelouse devant la Maison‑Blanche, hélico en fond sonore – in the heat of the action –, il a lâché : Sometimes I'm nice, sometimes I'm nasty, nothing works. I invite him for lunch, for dinner and he wouldn't drop, he wouldn't lower the rates. Bon… il n'a peut‑être pas totalement intégré que la force et la crédibilité du dollar reposent sur l'indépendance de la banque centrale, comme dans les autres pays développés. Mais il tient toutefois quelque chose : si les taux étaient inférieurs de 2 ou 2,5 points, ce serait un coup de fouet immense pour le budget américain, puisqu'ils paient aujourd'hui un peu plus de 1 000 milliards de dollars d'intérêts par an, rien que pour servir la dette. Si, hypothétiquement, on divisait ces charges par deux, on tomberait à 500 milliards. Un impact colossal. Mais il ne peut pas piloter la politique monétaire, et ça restera comme ça. La seule carte qu'il a en main, c'est que l'an prochain, le mandat de Jerome Powell arrive à son terme et qu'il ne sera pas reconduit. Son remplaçant, là, il aura son mot à dire. Il choisira sans doute un profil plus accommodant, qui baissera les taux autant que possible. Le zéro, il ne l'aura pas. Mais on peut s'attendre à une politique monétaire plus souple aux États‑Unis à partir de l'an prochain.

Bryan : Tout cela n'aide pas à renforcer la confiance en la politique monétaire américaine. Il y a d'ailleurs une raison pour laquelle Jerome Powell ne veut pas encore baisser les taux… La situation est fondamentalement différente de la nôtre en Europe, par exemple.

Julien : On peut défendre une baisse, aussi. Car l'inflation a nettement reflué. C'est un peu le nerf de la guerre : les tarifs signifient potentiellement des prix plus élevés pour le consommateur. Des prix plus élevés, c'est de l'inflation. La crainte, c'est donc un réveil de l'inflation. D'où la prudence de la Fed, qui n'est pas prête à baisser. L'économie tourne bien. Plein emploi, moral des ménages soutenu, bourse en hausse… Le consommateur américain ne ressent pas grand‑chose de négatif. Mais le risque, c'est que l'inflation reparte. Donc la Fed attend.

"Après, tout dépend de la façon dont on veut dormir la nuit. Un portefeuille concentré de quelques noms peut faire une très belle performance, mais on voit aussi à quelle vitesse ça peut redescendre."

Julien Kohn, Portfolio Manager chez Spuerkeess

Nick : Factuellement, jusqu'ici, l'inflation surprend par sa faiblesse. Elle reste sur une trajectoire légèrement descendante aux États‑Unis. En avril et en mai, là où les premiers effets des tarifs auraient dû apparaître, on n'a rien vu dans les chiffres. C'est ce qui permet à Trump de dire : Vous voyez, mes tarifs fonctionnent, ils rapportent beaucoup de recettes au budget et l'inflation ne s'est pas réveillée. La Fed rétorque que l'effet peut venir plus tard. Elle avance avec une prudence extrême. Elle attend, elle attend… Peut‑être trop.

Bryan : Parlons un peu des politiques de taux. On peut dire que le reste du monde profite de la politique américaine. Un dollar plus faible est bon pour nous, importateurs d'énergie. Le Drill Baby Drill a contribué à faire baisser le prix du pétrole. En conséquence, la banque centrale européenne a pris la décision assez facile de baisser les taux. Mais là, c'est terminé, a dit Christine Lagarde, sa présidente.

Julien : Je ne parierais pas là‑dessus. Comme tu l'as dit, le dollar s'est affaibli. Nous importons beaucoup. C'est plutôt désinflationniste. Nous avons aussi d'autres tendances : le pétrole moins cher, plus de digitalisation… Des forces désinflationnistes. Faut‑il s'arrêter là ? Je ne pense pas que nous retomberons en territoire négatif, ni à 0 %, mais je n'exclurais pas deux à trois baisses supplémentaires au cours des douze prochains mois.

Nick : Un euro fort agit comme un catalyseur à double tranchant. D'un côté, il rend les importations moins chères et renforce la désinflation actuelle. De l'autre, nous sommes un continent d'exportateurs. Ça pénalise notre compétitivité et, in fine, la croissance. Oui, on paie moins cher ce qu'on importe, mais on gagne moins sur ce qu'on exporte.

Bryan : Une politique de taux à zéro est lointaine, mais des taux durablement bas, il faudra s'y habituer. Pour les clients positionnés en dépôts à terme ou en obligations, générer un rendement réel positif va être compliqué…

Julien : On revient un peu dans une phase qui rappelle 2010–2020, avec le fameux TINA – There Is No Alternative. On n'y est pas encore, les obligations offrent des rendements intéressants. Mais si ça continue à baisser, on reviendra vers une situation où il faut se réexposer aux actions, parce que les rendements obligataires ne suffiront plus.

Bryan : Cette année, le marché des actions européen fait mieux que l'américain. C'est une bonne nouvelle. À quoi est‑ce dû ?

David : Pour nos clients, l'angle de la dévalorisation compte. Le sujet America First qu'on attendait plutôt pour le dernier trimestre 2024 ou début 2025 est moins prononcé que ce qu'on pensait. Des secteurs affichent de la surperformance et de la croissance en dehors des États‑Unis et du duo IA et tech qu'on a connu ces cinq à dix dernières années. En Europe, l'industrie est très demandée. Le contexte géopolitique plaide pour la défense. Et en termes d'allocation, les financières pèsent lourd dans les indices, elles sont bien capitalisées et versent des dividendes. Pour l'investisseur européen en quête de rendement et de flux, c'est très demandé sur ces six premiers mois.

Bryan : On a aussi l'impression que plus de clients veulent des matières premières. C'est lié à cette diversification ou au contexte géopolitique ?

David : Probablement un peu des deux. Les matières premières reviennent dans les portefeuilles. L'aspect géopolitique compte. Et l'idée, quand on intègre des classes d'actifs alternatives dans des portefeuilles traditionnels, c'est d'optimiser le couple risque-rendement – grâce à une faible corrélation avec les actions et les obligations. Elles jouent un rôle de couverture. Si l'on pense que l'inflation structurelle restera un peu plus élevée, alors les matières premières font sens dans les portefeuilles. L'or et les métaux précieux sont des thématiques fortes. On voit un intérêt marqué, non seulement comme valeur refuge, mais aussi comme actif de rendement. Et les performances parlent d'elles‑mêmes.

Bryan : L'or a doublé sur cinq ans… Un actif qui semble avoir un grand succès aux États-Unis, c'est le bitcoin. L'an dernier, il me semble que 70 milliards de dollars sont entrés dans le plus grand ETF bitcoin. Et, cette année, pour un actif risqué, le bitcoin s'est plutôt bien tenu. La perception change, au moins aux États‑Unis. Là‑bas, c'est devenu une classe d'actifs légitime. Chez nous, c'est encore autre chose. Vous confirmez ?

Nick : Ils ont un nouveau porte‑voix qui, au passage, a ramené des gens sur les marchés. Ils disposent aussi d'une législation plus favorable. Mais, sur les cryptos… Je constate que seul le bitcoin a performé. Les autres, pas vraiment. Et il a prouvé, encore une fois, qu'il n'est pas une couverture. Quand le S&P décroche, lui aussi, et réciproquement… Passons à autre chose.

Julien : L'année dernière, on s'était déjà posé la question de ce qu'est le bitcoin. On dit que c'est une crypto‑monnaie, mais ce n'en est pas vraiment une. C'est trop volatile pour servir de moyen de paiement. On se dirigeait déjà vers l'idée d'un or numérique. Je pense que c'est l'un des facteurs qui expliquent sa bonne tenue.

Bryan : Cela reste imprévisible. Dans certains segments, surtout aux États‑Unis, on sent une euphorie où se passent des choses un peu irrationnelles. Irrationnelles… bon ou mauvais tremplin pour parler des actifs verts qui ont, une fois de plus, pris une grosse claque.

Julien : Le monde va d'une extrême à l'autre. On est sans doute allé trop loin dans l'investissement durable. Tout le monde ne parlait plus que de ça. Puis on a dû admettre que l'on vit sur une planète où il y a des guerres ; certaines entreprises qui ne pouvaient pas figurer dans certains indices ou fonds se révèlent pourtant essentielles pour la résilience et la sécurité. Le mindset a changé et les investissements verts ont pris une claque. À long terme, je reste convaincu que le thème est crucial. On est sur une terrasse, il est dix heures du matin et il fait déjà 32°C. Le changement climatique est bien réel. À long terme, le thème reste intéressant.

David Schmit

Bryan : Cette année est-elle celle du retour de la diversification, après des années où il suffisait d’acheter américain ?

Nick : Pas vraiment. L'Europe a surperformé au premier trimestre. Sur le deuxième, on est déjà à la traîne face aux États‑Unis. Depuis le début de l'année, l'Europe garde un petit nez d'avance, mais cela tient à une poignée de titres. Le DAX allemand, par exemple, est surtout tiré par Rheinmetall. Ce n'est pas une performance large et diffuse. Du coup, la diversification, cette année, c'est plutôt un facteur de sous‑performance. Pour faire l'année des années, il fallait un portefeuille très concentré avec quelques bons noms. De nouveau, des titres des Magnificent Seven, et Rheinmetall. La diversification large, cette année, pèse sur la performance.

Julien : Après, tout dépend de la façon dont on veut dormir la nuit. Un portefeuille concentré de quelques noms peut faire une très belle performance, mais on voit aussi à quelle vitesse ça peut redescendre. Un portefeuille plus diversifié ne capte pas toujours les mégaboosts, mais quand ça secoue, la baisse est plus lente. Chacun doit se jauger, il n'y a pas de One Size Fits All.

Bryan : Pour terminer, vous avez certainement envie de tenter un petit pronostic… À quoi ressemblera la deuxième moitié de l'année ?

Julien : C'est très difficile. Les bourses ont très bien progressé, on est sur des plus‑hauts historiques. La conjoncture reste solide. Dans certaines régions du monde, les taux continuent de baisser et la liquidité abonde. Que des facteurs pro‑marché. Mais je préfère ne pas m'avancer.

Nick : Le seul pronostic que j'ose faire, c'est que le pic de volatilité sur une journée a probablement déjà été atteint. Est‑ce que la volatilité va remonter ? C'est possible. Elle pourrait surtout rester un peu plus élevée plus longtemps. Le point clé, maintenant, ce sont les résultats d'entreprises. Au premier trimestre, les tarifs étaient sectoriels, pas généralisés, et les résultats américains ont été globalement plus solides qu'en Europe. La question est : Qu'en sera‑t‑il au deuxième ?

David : Je m'aligne. C'est compliqué. Je pense qu'on va sortir de Twitter pour revenir aux fondamentaux. Résultats d'entreprises, enquêtes de sentiment, soft et hard data. Ça nous donnera une vue sur six à neuf mois et une idée de la performance des indices pour le second semestre.