J'ai deux mots à vous rire - Zéros sociaux

Von Claude Frisoni Artikel nur auf Französisch verfügbar

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Notre chroniqueur a été puni par un célèbre réseau social. Il exprime un profond sentiment d’injustice.

Ça m’a foutu un coup de jeune. Il y a bien longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai été puni. Pas une punition avec châtiment corporel ou privation de liberté, pas une punition avec amende financière ou travaux forcés durant le temps libre. Non, une punition légère, un brin infantile ; une punition genre au lit sans manger, privé de dessert, au coin pendant une demi-heure. C’est ce qu’il est convenu d’appeler un réseau social qui m’a infligé cette punition. Le réseau en question, qui n’a de social que le nom, est le plus important, le plus suivi, le plus puissant, le plus riche, le plus nombreux du monde ; il s’agit de Facebook. La sanction qui m’a été infligée consistait à ne plus pouvoir publier ou commenter sur FB durant 72 heures. J’y ai survécu mais uniquement parce que j’ai une force de caractère peu commune et un peu aussi parce que la sanction est intervenue pendant le week-end. Qu’avais-je donc commis comme infamie pour mériter une telle correction ? Une horreur que j’hésite à avouer. Un message m’a annoncé : votre commentaire ne respecte pas les standards de la communauté. Et plus précisément « contenu haineux ». La bave aux lèvres, des éclairs de rage dans le regard, une violence inouïe dans mes éructations, j’avais commis l’inexcusable.

« Le fait que les Français sont souvent très cons a été prouvé scientifiquement, tout le monde le sait. Il en va d’ailleurs de même pour les Moldaves, les Canadiens, les Brésiliens… »

Dans quelles circonstances ? Un quidam avait relayé un panneau sur lequel étaient écrites ces phrases pas du tout haineuses. « Les Français ne sont ni racistes ni méchants. Ils n’aiment simplement pas qu’on vienne les ennuyer chez eux ». Il faut savoir que toute phrase commençant par « je ne suis pas raciste mais » ou « je n’ai rien contre les étrangers mais » se termine rarement bien. C’est évidemment ce que j’ai ressenti et ce qui m’a conduit à écrire ce commentaire plein de retenue : « Les Français sont juste souvent très cons ». L’observateur honnête relèvera l’adverbe « souvent », qui est la preuve d’une grande modération. Je suppose que le rédacteur un tantinet zemmourien de la phrase que j’ai eu l’outrecuidance de commenter a signalé ma réaction à je ne sais qui chez FB. Je ne sais qui étant en l’occurrence… je ne sais qui. Un groupe de juges arbitres désignés par l’ONU, des sages unanimement respectés, des modérateurs élus démocratiquement ? Des algorithmes ? Une machine inhumaine mais terriblement judicieuse ? Toujours est-il que la sentence est définitive, sans appel et implacable.

J’ai bien essayé de solliciter la modération d’une instance appelée « Conseil de Surveillance », dont le réseau spécifie qu’il ne fait pas partie de Facebook et n’examine qu’un petit nombre de « décisions difficiles ». Ledit Conseil de Surveillance doit être composé d’un tiers de moines tibétains, un tiers d’anciens membres de la direction d’Amnesty International et un dernier tiers d’ex-Prix Nobel de la Paix. Mais mon cas ne devait pas être assez difficile pour mériter l’intervention de cette mystérieuse instance. J’avais essayé d’expliquer que ma phrase n’avait rien de haineux. D’abord, étant moi-même Français, dire que les Français sont souvent très cons ne pourrait au pire qu’être masochiste. En aucun cas haineux. Comme je l’ai déjà rappelé, l’adverbe « souvent » laissant supposer que cette affirmation ne vaut pas pour tous et pas toujours. Une telle relativité dans l’accusation lui ôte tout caractère haineux. Et puis surtout, le fait que les Français sont souvent très cons a été prouvé scientifiquement, tout le monde le sait. Il en va d’ailleurs de même pour les Moldaves, les Canadiens, les Brésiliens, les Luxembourgeois ou les habitants des autres pays. Tout le monde sont souvent juste très cons.

Mais que je ne sais qui ait pu trouver ma publication haineuse et pas celle que je critiquais mérite qu’on y réfléchisse. On peut donc écrire sur ce fameux réseau des phrases xénophobes mal déguisées en considérations générales mais pas contester ces saloperies. On peut écrire un truc du genre « je n’ai rien contre les étrangers du moment qu’ils restent chez eux » mais pas « Je n’ai rien contre les cons xénophobes, du moment qu’ils restent discrets ». Facebook peut vivre avec les pourris de la fachosphère, pas avec des gens qui disent des gros mots. Il peut supporter les pires dérives racistes mais surtout pas un morceau de chair nue. Ce truc est un concentré d’hypocrisie et de bienpensance malveillante. On pourrait s’en moquer si une telle organisation internationale n’avait pas le pouvoir d’influer sur les opinions publiques, les élections, les courants de pensée. Au-dessus des législations nationales et des usages, en dehors de tout contrôle démocratique, Facebook peut décider de ce qui est convenable ou ne l’est pas, de ce qui peut être dit et écrit et ce qui ne le peut pas, de ce qui doit être pensé et ce qui ne le doit pas. Quand on pense que certains pays s’insurgent de la prévalence des lois européennes sur leurs lois nationales mais ne s’inquiètent pas de celle d’une entreprise privée à but uniquement lucratif sur toutes les institutions nationales ou internationales démocratiquement constituées, on reste sans voix.

Un jour, comme dans les fictions dystopiques, Facebook décidera d’une guerre ou d’une guerre civile, d’une conquête ou d’une annexion… sans que quiconque puisse protester. Et si FB ne le fait pas directement, il pourra manipuler les opinions pour arriver au même résultat. A moins qu’on ne prenne conscience du danger et qu’on contraigne ce machin à rester à sa place. En se limitant à publier nos photos de petits chats rigolos, de vacances ensoleillées ou de recettes de tarte tatin à la carbonara. Car pour ce gigantesque réseau antisocial aussi : ne pas faire la guerre ne suffit pas, encore faut-il foutre la paix !