« Si personne n'en parle, il y a beaucoup de place pour les opinions extrêmes »

Par Melody HansenLex Kleren Changer en allemand pour l'article original

Écouter cet article

00:00
00:00

Faran Livneh est née en Israël et a grandi au Luxembourg. La jeune mère vit en Israël depuis près de quatre ans. Elle s'y engage pour la paix entre Israélien·ne·s et Palestinien·ne·s. Faran raconte comment elle percevait les tensions lorsqu'elle était adolescente, comment elle a vécu les bombardements en mai 2021 et pourquoi elle croit qu'une paix durable est possible.

Cet article est accessible gratuitement. Si vous voulez soutenir notre équipe et contribuer au maintien d'un journalisme de qualité indépendant, inscrivez-vous à un abonnement !

Le « conflit » israélo-palestinien a débouché sur une nouvelle crise : ce qui a commencé par des protestations contre l'expulsion de familles palestiniennes de Jérusalem-Est occupée par Israël a dégénéré en émeutes et s'est terminé par la prise d'assaut du complexe d'al-Aqsa, troisième lieu saint de l'islam, par les forces de sécurité israéliennes. Les manifestations et contre-manifestations se sont rapidement étendues à diverses villes d'Israël et des territoires palestiniens occupés. L'incident d'al-Aqsa a servi de déclencheur pour le groupe terroriste Hamas pour commencer à tirer des milliers de roquettes sur Israël depuis la bande de Gaza. Cela a déclenché une réponse militaire d'Israël pendant onze jours en mai, entraînant la mort d'au moins 13 Israéliens et 256 Palestiniens dans la seule bande de Gaza. Des milliers de personnes ont été blessées et se sont retrouvées sans abri, et les travaux de reconstruction se poursuivent dans l'attente d'une éventuelle nouvelle guerre.

Même si la plupart des milliers de roquettes tirées depuis Gaza ont été interceptées par le système de défense antimissile israélien Iron Dome, leur portée sans précédent a semé la terreur dans des endroits habituellement plus éloignés des réalités de l'occupation. Les deux parties ont été accusées de crimes de guerre potentiels pour l'utilisation de roquettes aveugles et l'usage disproportionné de la force contre des infrastructures civiles et des vies humaines. Outre le traumatisme durable pour les Israélien·ne·s et les Palestinien·ne·s, et la violence lente du blocus de Gaza qui rend la vie dans cette région presque insupportable, une solution politique est toujours insaisissante. Les tensions sous-jacentes aux expulsions du quartier de Sheikh Jarrah ne sont toujours pas résolues, tout comme la plupart des négociations entre les parties et l'absence de progrès dans la recherche d'une solution à deux États. Les partisans de la ligne dure des deux côtés poursuivent les provocations qui pourraient provoquer de nouveaux accès de violence.

Pour tenter de comprendre le côté humain et le coût de ces événements, nous nous sommes entretenus avec Wafaa, une réfugiée palestinienne de Gaza au Luxembourg, et Faran, une Israélo-Luxembourgeoise vivant en Israël. Toutes deux sont engagées dans la construction de la paix au niveau local en réunissant Palestiniens et Israéliens pour surmonter leurs différences, et leurs histoires de vie révèlent beaucoup de choses sur ce à quoi ressemble le « conflit » au-delà des statistiques abstraites de mort et de souffrance.

Lëtzebuerger Journal : Vous êtes née en Israël et vous avez grandi au Luxembourg. Parlez-nous en.

Faran Livneh : Mon père est israélien et ma mère est luxembourgeoise. Après s'être rencontrés et mariés en Israël, ils ont vécu brièvement au Luxembourg, où ma grande sœur est née. Puis ils ont déménagé en Israël, où je suis née moi-même. Au moment où j'avais deux ans et demi, mes parents ont divorcé et je suis retournée au Luxembourg avec ma sœur et ma mère. J'ai donc grandi et je suis allée à l'école ici. Pendant mon enfance, j'allais rendre visite à mon père en Israël trois fois par an. Pendant les vacances de Noël, celles de Pâques et un mois en été. Mon père ne parlait que l'hébreu avec nous, j'ai donc une parfaite maîtrise de la langue. Je n'étais là que pour les vacances, mais j'en ai retiré beaucoup. Maintenant que je vis en Israël, bien sûr, je me rends compte que c'est encore autre chose.

« J'avais aussi l'impression que plus j'en apprenais sur le conflit, moins j'en savais. »

Faran Livneh

Il y a presque quatre ans, vous avez décidé de vous installer en Israël. Comment est-ce arrivé ?

J'ai toujours su qu'à un moment donné, je voulais vivre en Israël pendant un certain temps pour voir si je m'y plaisais. En juillet 2017, alors que je venais juste de déménager à Berlin, ma grand-mère est décédée en Israël. Ça m'a touché de plein fouet, ce qui était bizarre car nous n'avions jamais eu une relation particulièrement proche. J'ai quand même ressenti le besoin de m'y rendre et de participer à la période de deuil juive traditionnelle. Avant ça, j'avais toujours eu une relation entre amour et haine avec Israël. Mais lorsque je m'y suis rendue cette fois, j'ai senti pour la première fois de ma vie que je me sentais chez moi. Je suis retournée à Berlin par la suite, mais là-bas, j'avais l'impression d'être coincée. J'ai donc acheté un billet aller simple pour Israël, sans plan. Et puis j'y ai rencontré le futur père de mon fils. Il m'est apparu assez rapidement que je voulais vivre avec lui en Israël. J'ai donc déménagé en décembre vers Jaffa, un quartier de Tel Aviv. 

Vous avez dit avant notre conversation que vous aviez hésité à donner cette interview. De quoi avez-vous peur?

J'ai l'impression que personne ne connaît la vérité dans cette discussion. Et il n'y a pas de vérité unique. Il y a tellement d'histoires d'un côté et de l'autre. J'ai peur de donner l'impression de trop argumenter pour ou contre un certain camp – et d'être attaquée par les deux camps pour cela. En même temps, je pense qu'il est important d'en parler et d'éduquer les gens. Ce faisant, il faut essayer d'aborder ce sujet avec autant d'humilité que possible. Car si personne n'en parle parce que personne n'ose, il reste beaucoup d'espace pour les opinions extrêmes. 

Vous avez récemment fondé le groupe Facebook « Israeli and Palestinian Women Believing in Peace ». Quel objectif voulez-vous atteindre en faisant ainsi?

Tout au long de ma vie, j'ai senti que je voulais faire quelque chose pour la paix. Je me suis toujours sentie concernée. On ne peut rien y faire, car étant Israélien ou Palestinien, on est, notamment de l'extérieur, toujours interrogé à ce sujet. J'ai déjà dû me justifier tellement de fois. Je me souviens avoir eu des discussions animées avec deux garçons – tous deux musulmans – lorsque j'avais 13 ans et que je fréquentais encore le lycée. Malgré ces discussions, ces deux garçons ont fait partie de mes amis les plus proches pendant longtemps. Et nous avons jusqu'à ce jour une relation chaleureuse et respectueuse l'un envers l'autre. D'une certaine manière, le sujet nous a liés. De telles discussions ont eu lieu tout au long de ma vie. À l'âge de 19 ou 20 ans, j'en ai eu assez. J'avais aussi l'impression que plus j'en apprenais sur le conflit, moins j'en savais. J'ai ressenti un certain désespoir qui a duré relativement longtemps.

Quel a été l'élément déclencheur qui vous a incité à aborder le sujet à nouveau ?

Lorsque je vivais à Berlin, mon intérêt a lentement recommencé à se développer. Je pense que c'est aussi parce que l'Allemagne a une autre approche par rapport à tout cela. Les personnes que j'y ai rencontrées avaient souvent des opinions très tranchées. Elles étaient soit très pro-israéliennes, soit extrêmement anti-israéliennes. Par conséquent, j'ai dû de nouveau faire face davantage au problème et aux différentes perspectives et critiques. J'ai également compris à ce moment-là qu'en vivant en Israël, je pourrais participer plus activement aux efforts pour la paix.

Vous avez donc senti que vous devez vivre là-bas pour faire quelque chose ?

Exactement. Mais j'ai toujours eu le sentiment que si l'on n'a pas grandi en Israël et n'y a pas vécu, ça donne une raison aux Israéliens de ne pas vous prendre au sérieux. Ils prétendent alors qu'il est facile d'en parler quand on ne l'a pas vécu au quotidien. Les Israéliens sont généralement fortement sur la défensive, car il s'agit d'un sujet très sensible.

Pourtant, vous avez toujours été consciente de beaucoup de choses …

Oui. Je me souviens de la première Intifada, j'avais alors huit ou neuf ans. C'était l'époque où des bus et des restaurants se faisaient dynamiter. Nous passions les vacances chez mon père, comme d'habitude. Nous étions en ville et je voulais absolument manger des spaghetti dans un certain restaurant, mais ma sœur préférait aller manger des falafels. Nous nous sommes disputées, ma soeur a gagné et nous sommes allés manger des falafels. J'étais grincheuse, bien sûr. Tout à coup, nous avons entendu une forte explosion et le restaurant où je voulais aller manger des spaghettis a explosé. Il y avait aussi des enfants qui ont été tués. Ce que je veux dire avec ça, c'est que ce n'est pas comme si je ne savais pas ce que cela signifie de vivre en Israël et de subir les conséquences du conflit. Mais face aux réactions des Israéliens, j'ai malgré tout toujours été prudente. Je savais que j'allais devoir vivre ici plus longtemps pour être prise au sérieux.

La première Intifada

Vous y vivez depuis près de quatre ans maintenant et vous y étiez aussi pendant les onze jours de mai où les bombes sont tombées. Comment avez-vous vécu cette période?

Pour nous, c'est venu comme de nulle part. Je suis consciente que les habitants de Gaza souffrent tous les jours, mais pour nous cette évolution a été très surprenante. Surtout à Tel Aviv, on vit dans une sorte de bulle. Ici, il est possible de vivre sa vie et de faire comme si de rien n'était. Tout à coup, des sirènes se sont mises à retentir au milieu de la nuit. Je n'étais pas du tout préparée parce que je ne regarde pas souvent les nouvelles. C'était la première fois de ma vie que je vivais quelque chose comme ça. Je ne savais pas du tout quoi faire. Il était 1 h du matin, j'étais dans ma chambre et mon fils Ari dormait. Je ne savais pas si nous étions à l'abri dans la maison, si je devais réveiller mon fils, si je devais rester à l'intérieur. Après le retentissement des sirènes, on n'a que quelques minutes pour se décider. Qui n'est pas à l'abri d'ici là risque de se retrouver dans la rue au moment où les bombes tombent. C'était une situation difficile.

Que s'est-il passé ensuite?

Mon père m'a écrit immédiatement. Il a dit que ma chambre, où mon fils a également dormi cette nuit-là, était relativement protégée. Elle se situe à peu près au milieu de l'appartement, au rez-de-chaussée, et il y a de grands immeubles autour. Si une roquette se dirigeait sur nous, elle aurait touché d'abord une tour. Donc, à chaque fois que des fusées volaient, je restais dans cette pièce. Je ne voulais pas réveiller mon fils pour ne pas le traumatiser. Ces deux semaines ont été très intenses.

Vous avez dit que les gens vivent paisiblement ensemble à Jaffa. Était-ce également le cas en mai?

Il est vrai que Juifs et Arabes palestiniens vivent ensemble pacifiquement à Jaffa. C'est pourquoi je vis ici et j'aime vivre ici. Cependant, pendant les bombardements, il y a eu de nombreuses émeutes. Les Arabes lynchaient les Juifs et les Juifs lynchaient les Arabes. Ma famille n'a pas osé quitter la maison. J'ai à peine quitté ma maison pendant une semaine. Après cela, je ne suis sortie de la maison que très peu de temps, quand il faisait jour, pour faire les choses les plus importantes. Ça a été pour moi un déclic.

Affrontements de mai

Alors vitre désir d'entreprendre quelque chose est redevenu plus fort?

Oui. Mais je ne savais pas vraiment quoi faire. J'en ai beaucoup parlé avec mon partenaire. Comme je fais de la thérapie par constellations familiales, où les conflits systémiques au sein des familles sont résolus par des échanges médités, j'ai eu l'idée de le faire avec des femmes palestiniennes et israéliennes.

Pourquoi seulement avec des femmes?

Dans mon travail, j'organise des cercles de femmes et je crois au pouvoir des femmes qui se réunissent. Je crois aussi que les femmes ont une intelligence émotionnelle plus élevée pour parler de choses de façon plus calme et plus respectueuse. D'après mon expérience, l'énergie dans les discussions auxquelles participent à la fois des hommes et des femmes est généralement très agressive. C’est le cas également dans les groupes de paix qui existent sur Facebook. En général, j'ai remarqué que dans ces groupes, les femmes qui ont des manières plus douces ne reçoivent même pas la parole ou n'osent rien dire.

Pourquoi est-il si difficile de mettre en œuvre une telle constellation familiale avec des femmes palestiniennes et israéliennes?

Il y a des femmes palestiniennes en Israël qui sont aussi israéliennes. Les rencontrer est facile. Mais il y a aussi des femmes palestiniennes vivant à Gaza ou dans certaines parties de la Cisjordanie qui ne sont pas autorisées à entrer en Israël. Tout comme nous ne sommes pas non plus autorisés à les voir. C'est complètement fou. La plupart des Palestiniens de moins de 30 ans n'ont jamais rencontré un Israélien. Sauf peut-être un soldat qui a tiré sur son père lors d'une confrontation – et c'est alors l'image qu'ils ont de nous.

Vous avez donc opté pour un groupe Facebook?

Mon partenaire m'a rappelé qu'il existe internet (rires). J'ai donc commencé à poster dans plusieurs groupes sur Facebook que j'organisais des appels sur Zoom. J'ai eu beaucoup de réponses à ça. Pour garder une vue d’ensemble, j'ai créé un groupe sur Facebook. Le premier appel Zoom a pris un peu de temps, car je voulais attendre que des femmes palestiniennes prennent également contact. Après tout, c'était censé être un échange.

Le premier appel sur Zoom a-t-il eu du succès?

Oui. Nous étions sept ou huit, dont une seule femme palestinienne qui vit à Gaza. Elle a perdu son bébé d'un mois dans un bombardement en 2014, pendant la dernière guerre. Son père est également décédé, d'un cancer. Israël laisse bel et bien entrer les gens pour visiter l'hôpital, mais ils ont besoin d'un passeport pour le faire. Il y a beaucoup de bureaucratie. Son père a attendu ce passeport pendant un an et quand il l'a enfin obtenu, il était trop tard. Le cancer s'était déjà propagé dans son corps. Cette jeune femme a perdu deux êtres chers à cause de cette situation. Elle est enseignante, mais l'école dans laquelle elle travaille a été bombardée, elle ne peut donc pas travailler pour le moment. Elle vit dans une maison en fer où il fait super chaud – pas de climatisation. Tout cela n'est pas comparable à la situation de nous, femmes israéliennes, qui avons écouté. Quelle que soit votre opinion, il y a une énorme différence entre vivre à Gaza et vivre ici. Même s'il y a aussi beaucoup de traumatismes ici et que ce n'est certainement pas facile, par exemple par rapport aux personnes vivant au Luxembourg. Mais par rapport aux habitants de Gaza, nous vivons de manière extrêmement privilégiée.

La bande de Gaza

De plus, le mouvement Hamas défend aux Palestinien·ne·s de parler avec des Israélien·ne·s, n'est-ce pas?

Exactement. C'est extrêmement dangereux pour eux. Si le Hamas découvre qu'une femme palestinienne est en contact avec des Israéliens, elle peut atterrir en prison ou pire. C'est pourquoi elle n'utilise pas son vrai nom sur Facebook mais le nom de sa fille qui a été tuée. C'était extrêmement courageux de sa part de participer à cet appel Zoom. Elle a dit que nous étions les premiers Israéliennes qu'elle rencontrait dans sa vie et qu'elle était très heureuse de voir qu'il y avait des gens bien parmi nous. Elle pensait que nous la détestions tous et que nous voulions tuer tous les Palestiniens. En entendant cela de sa bouche, j'ai été fière d'avoir créé ce groupe.

Hamas et Palestinien·ne·s au Gaza

Comment les générations abordent-elles différemment la situation tendue en Israël et en Palestine ?

Depuis la deuxième et dernière Intifada en 1996, la séparation est devenue très nette. À cette époque, un mur a été construit à travers et autour de la Cisjordanie, avec des points de contrôle stricts. Depuis lors, on ne peut plus faire l'aller-retour en voiture. Mon partenaire a neuf ans de plus que moi. Il me raconte que lorsqu'il était jeune, il avait l'habitude d'aller avec ses amis dans les territoires palestiniens occupés pour faire réparer leurs motos. Ils avaient des amis là-bas qui possédaient un atelier. À l'époque, il y avait beaucoup plus de contacts entre nous. Notre génération, en revanche, grandit dans la peur et la haine – des deux côtés.

D'où vient cette peur et cette haine du point de vue d'une Israélienne?

Je pense que c'est plus de la peur que de la haine. Si on parle aux Israéliens, on découvre rapidement qu'ils veulent la paix. Cependant, ils pensent que la haine de l'autre camp, en particulier du Hamas, est si grande qu'ils ne s'arrêteront pas tant que tous les Juifs n'auront pas quitté le pays. Ils pensent qu'ils doivent être protégés. Cela semble absurde pour l'autre côté. Mais c'est le sentiment dominant en Israël. Ensuite, il y a une forte haine de la part des Palestiniens. Les enfants y apprennent : tout ce qui est injuste et tout ce qui ne va pas dans votre vie est la faute des Israéliens. Ce qui n'est pas non plus toute la vérité.

« Il y a des faits et c'est un fait qu'Israël a plus de pouvoir et crée donc plus d'inégalités. Mais dire que l'un est le méchant et l'autre le gentil, c'est trop simple. »

Faran Livneh

Lorsque vous avez vécu au Luxembourg et à Berlin, comment avez-vous vécu les reportages dans les médias?

Je pense qu'en Allemagne, les reportages sont souvent plus pro-israéliens. Aussi à cause de l'histoire allemande. Au Luxembourg, j'ai plutôt le sentiment inverse. Ce qui nous effraie, nous les Juifs, c'est que l'antisionisme déclenche beaucoup d'antisémitisme. Je pense qu'il est extrêmement important de toujours essayer de voir un pont, un terrain d'entente et les deux côtés. Tout n'est pas noir ou blanc. Il y a des faits et c'est un fait qu'Israël a plus de pouvoir et crée donc plus d'inégalités. Mais dire que l'un est le méchant et l'autre le gentil, c'est trop simple. Tout a ses raisons, tout est imbriqué. Le sionisme est, à mon avis, l'un des mots les plus mal compris et déformés qui soient. Je peux être sioniste – c'est-à-dire croire que les Juifs ont le droit de vivre dans la Judée historique, le droit à l'autodétermination, à la sécurité et à la liberté – et en même temps vouloir que les Palestiniens aient exactement les mêmes droits. Ce n'est pas contradictoire, même si c'est souvent présenté comme tel, tant par les Israéliens d'extrême droite qui utilisent et déforment le sionisme comme une excuse, que par la propagande anti-israélienne.

Vous vous considéréz donc comme une sioniste?

Oui, dans le sens décrit ci-dessus, je m'identifie définitivement comme un sioniste. Le problème est que ce mot a une connotation très négative, c'est pourquoi je n'ose souvent pas le prononcer. Mais ce n'est que si je le fais que je pourrai changer ce malentendu.

Antisémitisme et antisionisme

Et il y a de la politique derrière tout ça …

… qui n'est souvent pas du tout intéressée par la paix. Je n’ai aucun doute, par exemple, sur le fait que « Bibi » Netanyahu, qui a été Premier ministre pendant bien trop longtemps, n’est pas intéressé par la paix. Il veut de l'argent et du pouvoir, mais la paix n’en vaut pas la peine pour lui. Le Hamas à Gaza ne veut pas non plus la paix et, à mon avis, ne s'intéresse pas au bien-être des Palestiniens. C'est triste. Surtout que les gens souffrent doublement. Ils souffrent de l'occupation israélienne et d'une autorité qui ne s'intéresse absolument pas à leur bien-être. Cela est démontré rien que par cette dictature flagrante dans la bande de Gaza, qui dit qu'ils ne sont même pas autorisés à être en contact avec un Israélien. Ne commençons même pas à parler des droits des femmes. C'est aussi une vérité. Je pense qu'il est important que ceux qui en parlent le disent clairement.

Avez-vous le sentiment que les Luxembourgeois sont informés de tout cela?

Non. Pour moi, il est toujours difficile – et je pense que c'est le cas pour beaucoup – d'être confrontés tout d'un coup à des avis aussi tranchés venant d'Europe. Que ce soit au Luxembourg, en Allemagne, en France ou ailleurs. Quelqu'un dit, par exemple, « Oui, vous avez volé des terres. » Je pense alors : « Viens en Israël, fais-toi des amis des deux côtés, fais des recherches, lis sur le sujet – et si tu penses pouvoir avoir une opinion, OK. » Mais je suis née là-bas, j'ai vécu toutes ces choses, j'étais en Cisjordanie et je n'ai toujours pas d'opinion. Ma seule opinion est que je veux la paix et que je veux essayer d'entreprendre quelque chose dans ce sens. Pour une raison quelconque, il s'agit d'une question sur laquelle les gens ont une opinion très forte, même s'ils n'ont pas nécessairement d'idée précise. C'est extrêmement difficile. Je pense également que l'expression d'opinions fortes est une manière extrêmement masculine d'aborder les choses. Maintenant que de plus en plus de femmes sont habilitées, qu'elles obtiennent des postes plus élevés et qu'elles ont davantage voix au chapitre, les choses changent. C'est pourquoi je crois que ce seront des femmes qui dans ce cas parviendront à la paix.

« Je suis née là-bas, j'ai vécu toutes ces choses, j'étais en Cisjordanie et je n'ai toujours pas d'opinion. Ma seule opinion est que je veux la paix. »

Faran Livneh

Quel rôle les médias sociaux jouent-ils cette fois-ci dans le conflit?

Les médias sociaux jouent sans aucun doute un rôle énorme. Qu'il soit bon ou mauvais, je ne pourrais le dire non plus. Bien sûr, c'est grossier de voir des vidéos d'enfants qui souffrent. Des vidéos où des Juifs crient que les Arabes doivent mourir ou des Arabes qui crient que les Juifs doivent mourir. Mais cela donne-t-il la bonne impression? Il est important que les gens voient ce qui se passe ici, mais d'un autre côté, ils ne voient pas tout.

Que pensez-vous qu'ils ne voient pas?

Mon fils fréquente une crèche dirigée par un couple arabo-juif. Lui est un Palestinien qui a grandi en Israël et elle est une juive religieuse. Il détestait les Juifs quand il était jeune. Elle de son côté a grandi dans la peur. Ils sont tombés amoureux et ont réalisé qu'ils avaient subi un lavage de cerveau toute leur vie. Ils ont maintenant trois fils et ont créé une garderie où ils enseignent l'arabe et l'hébreu et célèbrent les fêtes juives, musulmanes et chrétiennes. Ces choses-là n'atteignent pas les médias sociaux. Il faudrait peut-être que je poste une vidéo d'Israéliens juifs et palestiniens de quatre ans jouant ensemble. Mais le racisme est bien sûr aussi une réalité.

En conséquence, il existe actuellement un mouvement qui dit : « Non, nous sommes des Palestiniens et des Israéliens et c'est également possible. » Ils sont entre les deux. Ils se sentent fortement liés au peuple palestinien, mais d'un autre côté, ils se sentent aussi israéliens parce qu'ils vivent ici, qu'ils parlent hébreu et qu'ils ne se sentent donc pas complètement à l'aise au sein de l'une ou de l'autre communauté. Officiellement, les Palestiniens et les Israéliens ont les mêmes droits – à quelques exceptions près qui sont justifiées par la partie israélienne comme des mesures de protection. Il y a des Arabes qui occupent des postes élevés, qui sont juges ou médecins. Théoriquement, ils pourraient être égaux. Dans la pratique, ce n'est absolument pas le cas et les problèmes sont nombreux. Par exemple, ce que je ne comprends pas, c'est qu'il n'y a presque pas d'écoles publiques qui soient mixtes. Cela ne fait du bien à personne. Mais il y a aussi beaucoup de coopération. Malgré toutes les inégalités, Israël a ses bons côtés. C'est une démocratie et il y a des journaux qui sont extrêmement à gauche et complètement positionnés contre le gouvernement. Il existe également de nombreux mouvements pacifistes au sein d'Israël. Un mouvement relativement nouveau qui me donne beaucoup d'espoir s'appelle Standing together. De nombreux Israéliens juifs et palestiniens se sont unis pour montrer au gouvernement et au monde qu'ils refusent d'être des ennemis et qu'ils sont solidaires pour l'égalité des droits et la paix.

Il y a donc un potentiel de vivre ensemble pacifiquement?

J'ai l'impression que je dois y croire.

Quelle solution voyez-vous qui pourrait mettre fin à tout cela? Une solution à deux États pourrait-elle fonctionner et si oui, à quoi ressemblerait-elle?

J'y pense beaucoup et je n'ai pas encore pris ma décision à 100%. Je vais peut-être encore changer d'avis. Mais la solution que je préfère personnellement serait un pays commun. Peut-être aussi une sorte de fédération : deux États avec une capitale commune. La crainte des Israéliens juifs, lorsqu'il est question d'un État commun, est que nous perdions notre identité. Nous sommes clairement une minorité. Si toutes les frontières sont ouvertes, il y aura un pourcentage beaucoup plus faible de Juifs que d'Arabes. Nous avons peur d'être à nouveau haïs, puis discriminés et tués à un moment donné. C'est pourquoi il y a cet attachement extrême à Israël. C'est le seul pays que nous ayons jamais eu où nous n'étions pas haïs et tués. Où nous sommes en sécurité.

Passé et avenir d'un État palestinien

Mais croyez-vous quand-même qu'un pays commun est possible?

Je pense que nous nous sommes suffisamment établis. Tant dans la langue et la culture que dans la politique. Une de mes idées serait qu'au Parlement, il doit y avoir 50% de Juifs et 50% d'Arabes. Qu'il soit écrit dans la Constitution qu'il est impossible qu'un côté devienne plus puissant que l'autre. C'est ma vision et mon espoir. Pour beaucoup, c'est une utopie, mais je veux y croire. Il se peut qu'il faille d'abord qu'il y ait deux États. Cependant, je suis absolument contre le fait que les Juifs soient expulsés des territoires occupés – je suis contre les colonies – et ramenés en Israël et que tous les Arabes qui sont ici soient renvoyés en Palestine. Cela déchirerait la société.