« Je ne veux pas de cessez-le-feu, je veux une solution »

Par Melody HansenMisch Pautsch Changer en anglais pour l'article original

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Wafaa Abo Zarifa est une Palestinienne venue au Luxembourg il y a six ans après avoir grandi et travaillé comme journaliste à Gaza. Sa famille y vit toujours. Nous discutons de ce qu'était la vie à Gaza, comment elle a vécu les onze jours d'affrontements en mai, et si elle a encore l'espoir qu'une paix durable puisse être atteinte.

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Le « conflit » israélo-palestinien a débouché sur une nouvelle crise : ce qui a commencé par des protestations contre l'expulsion de familles palestiniennes de Jérusalem-Est occupée par Israël a dégénéré en émeutes et s'est terminé par la prise d'assaut du complexe d'al-Aqsa, troisième lieu saint de l'islam, par les forces de sécurité israéliennes. Les manifestations et contre-manifestations se sont rapidement étendues à diverses villes d'Israël et des territoires palestiniens occupés. L'incident d'al-Aqsa a servi de déclencheur au groupe terroriste Hamas pour commencer à tirer des milliers de roquettes sur Israël depuis la bande de Gaza. Cela a déclenché une réponse militaire d'Israël pendant onze jours en mai, entraînant la mort d'au moins 13 Israéliens et 256 Palestiniens dans la seule bande de Gaza. Des milliers de personnes ont été blessées et se sont retrouvées sans abri, et les travaux de reconstruction se poursuivent dans l'attente d'une éventuelle nouvelle guerre.

Même si la plupart des milliers de roquettes tirées depuis Gaza ont été interceptées par le système de défense antimissile israélien Iron Dome, leur portée sans précédent a semé la terreur dans des endroits habituellement plus éloignés des réalités de l'occupation. Les deux parties ont été accusées de crimes de guerre potentiels pour l'utilisation de roquettes aveugles et l'usage disproportionné de la force contre des infrastructures civiles et des vies humaines. Outre le traumatisme durable pour les Israélien·ne·s et les Palestinien·ne·s, et la violence lente du blocus de Gaza qui rend la vie dans cette région presque insupportable, une solution politique est toujours insaisissante. Les tensions sous-jacentes aux expulsions du quartier de Sheikh Jarrah ne sont toujours pas résolues, tout comme la plupart des négociations entre les parties et l'absence de progrès dans la recherche d'une solution à deux États. Les partisans de la ligne dure des deux côtés poursuivent les provocations qui pourraient provoquer de nouveaux accès de violence.

Pour tenter de comprendre le côté humain et le coût de ces événements, nous nous sommes entretenus avec Wafaa, une réfugiée palestinienne de Gaza au Luxembourg, et Faran, une Israélo-Luxembourgeoise vivant en Israël. Toutes deux sont engagées dans la construction de la paix au niveau local en réunissant Palestiniens et Israéliens pour surmonter leurs différences, et leurs histoires de vie révèlent beaucoup de choses sur ce à quoi ressemble le « conflit » au-delà des statistiques abstraites de mort et de souffrance.

Lëtzebuerger Journal : Êtes-vous frustrée de ne recevoir une demande d'interview que maintenant, alors que la situation est vraiment mauvaise, même si le conflit et les prémices de la crise actuelle durent depuis des années?

Wafaa Abo Zarifa : Bien sûr, c'est très frustrant. J'ai l'impression que les médias ne transmettent pas la vérité telle qu'elle est vraiment. Ils ne transmettent que les messages que les politiques veulent voir. Quand je regarde la télévision ou que je lis un article, ils rapportent tous la même chose. Certaines personnes se moquent de moi parce qu'elles disent qu'elles ne comprennent pas pourquoi nous nous battons pour des terres. Mais mettez-vous à notre place : que penseriez-vous si quelqu'un venait attaquer votre maison, votre famille, votre terrain, vos souvenirs, votre vie, votre avenir, votre présent, votre passé? Que feriez-vous? Pour cette guerre de onze jours, ç'a été un peu différent. On voit beaucoup de mouvement grâce aux médias sociaux.

« De voir ma mère et mes enfants courir, lutter, mon oncle mourir à côté de nous. Et quand vous retournez dans votre région, ce n'est plus votre domicile que vous y retrouvez. »

Wafaa Abo Zarifa

Nous reviendrons sur le rôle des médias sociaux dans tout cela. D'abord, je veux apprendre à vous connaître. Vous vivez au Luxembourg depuis cinq ans et demi. Qu'est-ce qui vous a amenée ici?

Ma situation était le résultat de l'occupation israélienne. La dernière guerre que j'ai vécue dans la bande de Gaza remonte à 2014. À ce moment-là, je me suis dit : je ne mettrai plus jamais mes enfants dans cette situation. Trop, c'est trop. J'ai trois enfants qui avaient 14, 11 et 10 ans à l'époque. C'était si difficile pour moi de penser à l'éventualité que nous mourrions ensemble ou que je ne puisse pas sauver l'un d'entre eux. J'ai donc postulé auprès d'une organisation pour un projet international en dehors de la Palestine. Une semaine après la fin de la guerre, on m'a demandé de quitter Gaza pour rejoindre le projet. Mais je ne pouvais pas partir comme ça. Si vous voulez quitter Gaza, vous devez demander la permission d'Israël, de la Jordanie et de bien d'autres endroits. Il vous faut presque vous munir d'une mallette de plus pour toutes les autorisations venant du monde entier dont vous avez besoin pour simplement prendre l'avion. À ce moment-là, je me suis profondément demandée : pourquoi n'ai-je pas le droit de voyager comme tout le monde? Tout le monde peut participer à ce projet, mais pas moi. Juste parce que je suis Palestinienne de Gaza. Finalement, j'ai réussi à obtenir les autorisations et je suis partie.

La bande de Gaza

Vous êtes allée en Grèce et vous n'êtes jamais retournée à Gaza …

Après le projet en Grèce, j'ai de nouveau eu besoin de toutes les autorisations pour avoir le droit de retourner à Gaza. Mais je ne les ai pas obtenues. Je suis restée coincée en Grèce pendant sept ou huit mois. Mes enfants étaient encore à Gaza. Ils me manquaient, je m'inquiétais pour eux. La seule possibilité que j'avais de retourner auprès d'eux était d'aller quelque part en tant que demandeuse d'asile et de demander à ce que mes enfants me rejoignent. Toute la procédure m'a pris un an et demi. J'ai été séparée de mes enfants pendant quatre ans et ils sont arrivés au Luxembourg il y a seulement deux ans. C'est la chose la plus difficile que j'ai vécue. Et ce n'est qu'une des histoires – et pas parmi les plus difficiles – de ce que doit subir le peuple palestinien. À présent, mes enfants et moi-même avons la nationalité luxembourgeoise.

Au Luxembourg, vous travaillez à l'intégration de personnes?

Oui. Je travaille sur ce projet avec deux autres femmes, l'une également originaire de Palestine et l'autre du Luxembourg. Nous avons commencé à rencontrer des femmes de différents horizons et nous avons découvert que nous avions toutes des problèmes similaires. Alors pourquoi ne pas diffuser nos connaissances et avoir des échanges culturels? Nous avons créé une association par laquelle nous voulons intégrer les gens dans la communauté luxembourgeoise. Et nous avons lancé le « Wafaa's women café » où nous organisons des réunions informelles pour échanger des histoires et des expériences. Parce que pour s'intégrer et s'accepter mutuellement, il faut se pouvoir se comprendre.

Vous m'avez dit que vous avez vécu à Gaza il y a sept ans. Ramenez-nous là-bas.

Ce n'était pas facile. Imaginez que vous êtes dans une pièce et que quelqu'un verrouille la porte juste devant votre nez. Vous avez des rêves et vous ne pouvez rien faire afin de les réaliser. Et vous ne savez pas pourquoi. Le plus dur pour une jeune personne, c'est que vous voulez voyager et profiter de la vie. Je n'ai pas pu le faire. Parce qu'à Gaza, je n'avais pas le droit de voyager, pas le droit de me plaindre, pas le droit d'avoir l'éducation que je souhaitais… En plus de cela, j'ai dû accepter tout ce qui m'arrivait. Parce que dès que vous élevez votre voix en tant que Palestinien à Gaza, vous vous transformez en terroriste. C'est injuste.

La Naqba et la guerre de 1947-49

J'ai entendu dire qu'on ne devrait pas utiliser le mot conflit dans cette discussion. Pourquoi cela et de quelle autre manière décririez-vous la situation?

Beaucoup de gens ne font pas attention aux termes qu'ils utilisent. Ils ne sont pas conscients de l'impact que ces mots peuvent avoir. De la position politique et religieuse que leur choix de mots est à même d'exprimer. Ils répètent ce qu'ils entendent dans les médias sans comprendre ce qui se cache derrière le problème.

En quoi le mot « conflit » est-il problématique?

Quand on voit ce qui se passe en Palestine, on peut officiellement arrêter d'appeler cela un conflit – ou un affrontement, comme on dit parfois. Un conflit signifie qu'il y a une sorte de symétrie du pouvoir. Mais il n'y a pas d'égalité dans ce pouvoir. C'est l'occupation israélienne illégale, c'est l'oppression des Palestiniens. C'est la privation des droits humains pour les Palestiniens. C'est un nettoyage ethnique. Je ne parle que des onze jours qui viennent de s'écouler. Toutes les séquences que j'ai regardées, ce qui s'est passé à Gaza, à Sheikh Jarrah, à la mosquée Al-Aqsa, cela ne suffit-il pas? Qui a le fusil, qui a l'armée? Je ne soutiens personne. Je soutiens seulement chaque être humain qui tente de défendre ses droits. Tout ceci est une question politique et économique. Les responsables sont ceux qui livrent les armes.

Des sites culturels et religieux sujets à de profondes divisions entre Israélien·ne·s et Palestinien·ne·s

Pouvez-vous expliquer pourquoi il est important de ne pas tenir les juifs ou les musulmans pour responsables des décisions des dirigeants israéliens/palestiniens?

Il est clair que nous n'avons pas de conflit entre les religions. Il s'agit de politique. C'est une occupation. Finissons-en et nous serons le peuple le plus pacifique. Il y a 6,5 millions de Palestiniens dans le monde. Nous sommes le plus grand et le plus ancien groupe de réfugiés au monde. Et nous essayons toujours d'améliorer les endroits où nous vivons. La seule chose que nous voulons, c'est notre liberté.

Le conflit entre Israël et la Palestine dure depuis plus de 50 ans. Votre famille y est confrontée depuis des générations. Comment cela vous a-t-il affecté en grandissant?

L'occupation remonte à près de 73 ans. Je pense que je suis la troisième génération qui est témoin de l'occupation. Ma grand-mère et mon grand-père, ma mère et mon père nous ont appris à aimer notre pays et notre culture. Et à toujours défendre nos droits. La chose la plus importante que possède le peuple palestinien est la dignité. Lorsque les massacres ont commencé et que les gens ont été forcés de s'enfuir et de quitter leurs domiciles, nos grands-parents se sont enfuis avec les clés de leurs maisons. Jusqu'à aujourd'hui, nous en avons les clés. Ils les ont transmises de génération en génération. Ils avaient l'habitude de dire : « Peut-être qu'un jour vous reviendrez. » Ils nous décrivent à quoi ressemblaient nos maisons, combien de pièces il y avait, quel arbre se trouvait devant notre maison. Les souvenirs sont transmis d'une génération à l'autre, tout comme les clés.

Avez-vous dû vous-même quitter votre maison avec votre famille?

Oh que oui. La dernière expérience que j'ai eue remonte à 2014, c'était également pendant le ramadan parce qu'ils essaient toujours de nous attaquer pendant le mois le plus saint. Ils choisissent le moment où ça fait le plus mal. Moi et ma mère plaisantons toujours en disant « comme s'il n'était pas encore assez d'être Palestinien, ni d'être de Gaza, en plus de cela, nous vivons à la frontière ». Nous sommes donc très proches de l'armée. Quand ils commencent leur mission, ils commencent chez nous. On était assis là à manger quand soudain la table a commencé à trembler à cause des bombardements. Ça venait de partout. On ne pouvait même pas reconnaître d'où ça venait. Je me suis regroupée avec mes enfants, mes frères, leurs femmes et leurs enfants dans la maison de mon père, car elle est un peu plus éloignée de la frontière.

Les occupants commencent par couper l'électricité. Nous étions dans une pièce, chaque mère devant ses enfants et nous essayions de sourire, de faire des blagues. Pour que les enfants se sentent mieux. Puis les bombardements ont commencé à devenir très intenses, tout volait dans tous les sens. Nous avons dit à mon père que nous devions quitter la maison, même si c'était très dangereux. Si vous traversez la rue, vous ne savez pas si vous allez rester en vie. Mais vous essayez de vous rendre à l'endroit le plus sûr possible. Mon père nous a dit : « Si vous voulez partir, partez, mais moi je ne partirai pas. » Nous devions donc réfléchir à qui allait partir en premier. Un de mes frères a décidé de le faire et de nous appeler. Et chaque mère disait à ses enfants : « Regardez, on va courir. Ne vous souciez pas de ce qui se passe autour de vous. Si votre grand-mère tombe par terre, ne vous inquiétez pas, elle va nous suivre. Continuez à courir. Si je tombe, ne vous inquiétez pas. Nous allons vous suivre. »

Avez-vous entendu parler de ces histoires? Comment voulez-vous que, en tant qu'être humain, j'accepte de telles choses? De voir ma mère et mes enfants courir, lutter, mon oncle mourir à côté de nous. Et quand vous retournez dans votre région, ce n'est plus votre domicile que vous y retrouvez. Vous ne le reconnaissez plus. Votre maison ressemble à une maison de poupée – vous savez une de celles sans murs où vous voyez tout ce qui se passe à l'intérieur.

Vous êtes devenue journaliste. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec la façon dont vous avez grandi?

J'ai toujours rêvé de devenir journaliste parce que je voulais être la voix de mon peuple. J'aimais aussi écrire et décrire des histoires. Il y a une université en Palestine que j'ai fréquentée. Ce n'était pas facile de financer mes études. Je devais avoir de bonnes notes pour obtenir une bourse. Travailler en tant que journaliste en Palestine est l'un des emplois les plus difficiles, car vous prenez des risques. Vous couvrez les crimes commis contre votre peuple et, en même temps, vous en faites partie. C'est très émotionnel. Cela a eu un impact considérable sur moi, parfois de manière positive, parfois de manière négative. J'ai longtemps lutté pour ma santé mentale.

Hamas et Palestinien·ne·s au Gaza

Avez-vous un exemple d'une situation où vous vous êtes mise dans une situation dangereuse?

Je me souviens qu'un jour, je parlais à mon directeur, et j'ai décidé de rentrer chez moi. J'étais inquiète pour ma petite fille. J'avais peur de la perdre, et je devais juste aller la voir. Mais il allait bientôt faire nuit dehors et il était très dangereux de prendre l'autoroute car l'armée attend qu'une voiture passe pour lancer des bombes. Vous trouvez peu de taxis en service – certains ont besoin d'argent et ils prennent le risque. J'en ai donc trouvé un. Le chauffeur était très rapide et soudain, des bombes ont commencé à tomber de partout. C'était comme dans un film. Pendant qu'on essayait de s'en sortir, il y avait un type sur le bord de la route qui demandait de l'aide. Le conducteur a décidé de s'arrêter pour lui. C'était un moment très dur. Tout le monde était confus. Mais nous avons survécu, je ne sais pas comment, et nous avons pu retrouver notre famille.

Y a-t-il une histoire que vous avez couverte en tant que journaliste à Gaza et qui vous a particulièrement marquée?

Le même jour, j'ai vu une publication sur Facebook de mon ami qui écrivait qu'un ami commun était décédé. J'avais couvert un reportage la veille et il m'a fallu un certain temps pour me rendre compte que l'histoire que j'avais couverte concernait mon ami. Parce que lorsque vous faites un reportage sur tout cela, vous n'avez parfois pas l'impression d'en faire partie. Ce jour-là, j'ai dû écrire l'article [sur ce décès]. Alors, qu'est-ce que j'allais écrire? Que c’était un type sympa, qu'il avait un rêve? Qu'il avait travaillé dans un programme alimentaire pour les personnes ayant fugué? Cela m'a vraiment marquée. Il m'a fallu un certain temps pour me libérer de ces émotions. Finalement, cela m'a rendu forte, transformé en combattante. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait quoi que ce soit d'impossible à réaliser.

Une autre histoire?

Il y a des tas d'histoires dont personne ne parle. Par exemple, celle d'une fille de six ans qui, le soir, dit à sa mère qu'elle a peur d'aller aux toilettes. Alors sa mère l'accompagne. Assise sur les toilettes, la fille dit qu'elle n'a plus peur. La mère s'éloigne de quatre ou cinq pas et une bombe tombe sur sa fille. La petite meurt et la mère reste en vie. Dans quel état cette femme va-t-elle survivre? Je parie qu'elle aurait préféré mourir avec sa fille. Que vous surviviez ou non dépend de quelques mètres. Beaucoup d'histoires sont sur des personnes qui se tiennent juste à côté les unes des autres et dont une seule meurt. Un jour, mon directeur m'a demandée d'écrire un article et j'ai dit que je ne pouvais pas. Je lui ai demandé : qui va nous écouter? Nous avons fait cela pendant des années et qui nous a écoutés? Qu'est-ce qui a changé? Rien.

« Il m'a fallu un certain temps pour me libérer de ces émotions. Finalement, cela m'a transformé en combattante. Pour moi il n'y a rien d'impossible à réaliser. »

Wafaa Abo Zarifa

Quel rôle les médias sociaux jouent-ils dans tout cela?

Cette fois, les médias sociaux ont joué un rôle important en montrant aux gens ce qui se passe réellement en Palestine. Et je pense que le monde commence vraiment à en avoir assez qu'on répète les mêmes choses à chaque fois et qu'on nous cache la réalité. Personne n'acceptera de voir des enfants mourir comme ça et des bâtiments être détruits. Si vous le faites, vous ne pouvez pas vous définir en tant qu'être humain. Un jour, cela pourrait vous arriver à vous. Sur les médias sociaux, vous ne pouvez pas cacher ce qui se passe. C'est en direct, rien que quelqu'un essaie d'embellir. C'est pourquoi vous voyez ce grand mouvement dans le monde entier. Pourquoi permettons-nous que cela se produise peu importe où dans le monde? Facebook, Twitter, etc. essaient de bloquer et de supprimer des choses. Mais il y a beaucoup de jeunes Palestiniens qui utilisent les plateformes dont ils disposent pour faire comprendre aux gens ce qui se passe en Palestine.

Une partie de votre famille vit toujours à Gaza. Comment avez-vous vécu ces dernières semaines ?

Toute ma famille vit à Gaza. C'était très dur. Je ne dormais pas. Je regardais toujours la télé en appelant ma famille. Je n'aime pas entendre ma mère avoir peur… (Wafaa commence à pleurer) Je me souviens que lorsque j'étais avec elle, ma mère faisait toujours semblant d'être forte. Bien sûr, elle avait peur, mais elle ne le montrait pas. Et maintenant, peut-être parce que je suis loin ou parce qu'elle commence à être vieille, elle le montre. Elle m'a dit qu'elle prie et qu'elle est fatiguée de ne pas dormir. « Si je reste en vie, c'est bien, mais si non, je ne peux rien y faire. C'est comme ça », a-t-elle dit. C'était très dur. En même temps, quand je regarde les informations… c'est vraiment injuste. Je ne sais pas ce que je peux faire. J'essaie d'en parler et de partager des choses sur Facebook, mais les gens vous regardent comme si vous étiez stupide. Ils voient tout cela comme un conflit entre des gens qui se battent à cause de terres. Nous ne nous battons pas à cause de terres. Nous nous battons à cause de beaucoup de choses. À cause de l'injustice que nous subissons. Parce que vous voyez votre mère mourir et que vous ne pouvez rien y faire. Vous voyez votre enfant perdre ses yeux ou ses jambes sans raison. Juste pour plus de pouvoir ou d'argent?

Un cessez-le-feu a été mis en place. Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que cela veut réellement dire quelque chose? Les combats peuvent reprendre à tout moment. Les habitant·e·s de Gaza peuvent-ils·elles respirer un peu maintenant?

J'étais fière, triste et très déçue – un mélange de sentiments à l'égard de ce qui se passe là-bas. Je ne crois pas au cessez-le-feu. Parce que ça se répète toujours. On tue des milliers de personnes, on en blesse des milliers d'autres et ensuite on dit « oh, nous avons besoin d'un cessez-le-feu ». Je ne veux pas de cessez-le-feu, je veux une solution. Une vraie solution pour arrêter cela pour toujours. J'attends. J'espère qu'on fera quelque chose.

Quelle pourrait être la solution pour mettre un terme à tout cela? Dans le passé, il a été question d'une solution de deux États. Cette solution pourrait-elle être mise en œuvre? Et comment?

On parle de deux États depuis toujours. Nous avons renoncé à certains de nos droits pour donner des droits à d'autres personnes. Mais ces personnes ne veulent pas partir en paix. Elles veulent toute la région. Quand nous faisions face aux soldats en Palestine, ils ne nous appelaient jamais Palestiniens. Ils nous considéraient toujours comme des Arabes. Si l'on voulait vraiment deux États, cela serait arrivé il y a longtemps. Je ne pense pas que cela sera une solution. Et les six millions de réfugiés de la guerre? Où iront-ils?

Passé et avenir d'un État palestinien

Voyez-vous une solution?

Oui. Mettez fin à l'occupation. Il s'agit de la Palestine qui va accueillir chaque être humain – chrétien, juif, japonais, chinois… Tout le monde est le bienvenu dans mon pays. Mais ils ne vont pas y mettre fin. Disons que nous ne voulons pas rendre les choses difficiles. Orientons-nous vers la solution des deux États. Mais mettez chaque soldat de l'armée devant le tribunal. Soyez au moins juste avec les personnes innocentes qu'ils ont tuées. Dites la vérité en ne la cachant pas et n'essayez pas de l'embellir. Reconnaissez la Palestine en tant que pays. Rendez la liberté aux prisonniers palestiniens en Israël. Donnez-nous au moins le droit d'avoir une frontière, de voyager, un aéroport, de la santé, de l'électricité comme toute autre personne dans le monde.

Donc, il pourrait y avoir une coexistence pacifique?

Les Palestiniens regrettent de ne pas vivre en paix. Bien sûr, si ce que j'ai dit auparavant était appliqué, pensez-vous que quelqu'un dirait non? Si vous avez vos droits, vous avez votre liberté, quelqu'un dira non? C'est même ridicule d'y penser. Mais je ne pense pas qu'ils vont le faire.

Alors vous n'avez plus d'espoir?

C'est difficile. Mais je suis sûre qu'avec les médias sociaux, de plus en plus de personnes dans le monde entier vont comprendre la réalité. Ils s'arrêteront si le monde entier se lève et dit stop.

Quel rôle le Luxembourg joue-t-il dans ce domaine?

La reconnaissance de la Palestine en tant que pays. C'est ce que j'attends du Luxembourg. Actuellement, ils ne le font pas. S'ils le font un jour, je serais très heureuse. Je sais que le Luxembourg est un pays très pacifique. Et je ne sais pas ce qu'ils attendent …