J'ai deux mots à vous rire - Bientôt ou plus tard ?

Par Claude Frisoni

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La chronique hebdomadaire de Claude Frisoni.

A cette période de l’année, il est d’usage, dans les journaux bien élevés, de tirer un bilan de l’année passée et d’imaginer ce que sera celle qui commence. Pour ce qui est du bilan, c’est assez vite fait. Il ne s’est rien passé de remarquable en 2020. Remarquable au sens premier du terme. Remarquable, c’est ce qu’on peut remarquer. Rien à remarquer, relever, signaler, mettre en exergue pour cette année affreusement banale, morne, ennuyeuse même. Pas de tsunami, de catastrophe aérienne, pas de mariage princier, de divorce spectaculaire, pas de tempête de neige, de sable, de pluie, de grêle, de grenouilles, même pas de tempête du désert. La routine. Avec tout ce qu’elle a d’engourdissant et de démotivant. En cherchant bien, quelques décès de personnages célèbres. Fauchés dans la fleur de l’âge, comme Michel Piccoli à 94 ans, Juliette Gréco à 93 ans, Annie Cordy à 92, Sean Connery à 90… pour évoquer les sympathiques. Ou encore Valery Giscard d’Estaing à 94, et Sabah al-Ahmad al-Jabir al-Sabah, le sémillant émir du Koweit, à 91 ans, pour signaler ceux que la peine de mort n’a pas empêché de dormir. Peu de naissances, si ce n’est que Tarantino et Boris Johnson sont devenus papa, mais pas du même enfant. Et bien sûr, au Luxembourg, la venue au monde de Charles Jean Philippe Joseph Marie Guillaume de Luxembourg, autrement dit des sextuplés, ce qui est une bien jolie contribution à l’essor démographique du pays.

Pour le reste, 2020 ne restera pas dans les annales. Comme à l’accoutumée, les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres, les vieux plus vieux et les jeunes moins jeunes, comme d’habitude il a fait plus chaud que les cent dernières années, comme d’habitude les grues ont préféré décorer les rues de Luxembourg plutôt que de migrer, comme d’habitude il y a eu plus de monde dans les hypermarchés que dans les salles de spectacle, comme d’habitude le nouvel iPhone était une révolution, comme d’habitude personne d’autre n’a fait de révolution, sauf la terre qui ne semble pas s’en lasser. Comme d’habituuuuude. D’ailleurs, en a-t-elle fait 366, des révolutions, notre brave terre, puisque 2020 était, c’est bien là sa seule originalité, une année bissextile ? En fait non, elle en a fait, comme toujours, 365 et un quart. Ce sont les hommes qui tous les quatre ans, réunissent quatre quarts pour en faire un 29 février. Par chance, le 29 février est tombé un samedi. Sans quoi cette année aurait vraiment été une année pourrie ! Et là, je m’interroge. Pourquoi personne n’a jamais exigé que si le 29 février tombe un jour ouvré, cette journée de travail supplémentaire devrait être indemnisée ? Pourquoi aucun syndicat n’a-t-il jamais réclamé une prime de 29 février ? C’est avec le plus admirable désintéressement que je soumets cette idée à la sagacité de ceux dont la mission est de trouver des revendications pertinentes. Rassurez-vous, il n’y aura pas de 29 février en 2021.

L’année s’annonce donc bien. Et à nouveau, je m’interroge. Pourquoi dit-on « l’année s’annonce bien » et pas « l’an s’annonce bien » ? Pourquoi souhaite-t-on la bonne année et pas le bon an ? On ne dit jamais bon an. Sauf dans l’expression « bon an mal an » qui veut dire en gros, en moyenne. Un an, c’est 365 jours. Une année aussi, mais ses jours semblent plus longs. Ainsi, j’ai fait un service militaire d’un an. Cette année-là me sembla interminable. Après 50 ans, les années passent beaucoup plus vite. Ans et années durent douze mois, mais cette même unité de temps ne peut être qualifiée qu’au féminin. On n’évoque jamais de beaux ans, de longs ans, les ans les plus sombres de notre histoire. Il en va de même pour le jour et la journée, le soir et la soirée, le matin et la matinée. Il n’y a qu’au théâtre que la matinée a lieu l’après-midi. Mais c’est normal car au théâtre, rien n’est normal !

La notion de temps est tellement subjective que sa mesure n’obéit pas aux mêmes règles que les autres mesures. Une même nuance existe entre futur et avenir. D’après l’Académie Française, qui ne dit pas que des bêtises, puisqu’elle en publie aussi, Avenir désigne une époque que connaîtront ceux qui vivent aujourd'hui, alors que futur renvoie à un temps plus lointain, qui appartiendra aux générations qui nous suivront. Employer en ce sens futur pour avenir est un anglicisme qu'il convient de proscrire. Je suis assez peu en accord avec cette définition. Pour moi, le futur c’est ce qui suivra le présent, alors que l’avenir, c’est ce qui se réalisera peut-être dans le futur. Je sais, ça n’est pas très clair. Eh bien disons que l’avenir, c’est le futur en habits du dimanche. Mais ce que je peux prédire avec certitude pour 2021, c’est que le futur comme l’avenir, ça restera pour plus tard.