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Avec la transmission du trône d’Henri à Guillaume, le Luxembourg a ouvert un nouveau chapitre de son histoire. Alors que le Grand-Duché fait actuellement l’objet d’une attention médiatique comme rarement par le passé, tant au Luxembourg qu’à l’étranger, beaucoup s’interrogent sur le rôle que joue encore aujourd’hui la monarchie, entre force symbolique, nation branding et neutralité politique.
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Les Luxembourgeois·e·s (ou les personnes résidant ou travaillant dans le pays) qui n'ont pas passé ces derniers jours sur la lune ou à l'étranger ont été inondés d'articles, de reportages, de documentaires, de photos et de livetickers sur la famille grand-ducale et le changement de trône, à tel point que certains se sont peut-être même demandé si l'instauration d'une république ne serait pas une meilleure option face à cette surenchère médiatique.
En effet, l'élection d'un nouveau président ou d'une nouvelle présidente n'aurait certainement pas entraîné une telle surcharge d'informations qu'un changement de trône. Mais si le Luxembourg était une république, il ne serait qu'un État nain parmi tant d'autres, avec un chef d'État qui est en général un homme où une femme politique méritant·e mais souvent incolore, comme c'est le cas dans de nombreux pays.
En tant que seul Grand-Duché au monde, le Luxembourg est en revanche très particulier. Certains vont jusqu’à qualifier le Grand-Duc de simple potiche représentative, mais ils se trompent. Un Grand-Duc donne un visage au pays, au mieux même une identité, et ceux qui ont vu les foules en liesse, dont de très, très nombreux jeunes, acclamer le nouveau Grand-Duc le jour de l'accession au trône (et même après), devraient nous donner raison.
Nous paraphrasons ici le vice-premier ministre Xavier Bettel, qui s'est exprimé de la même manière dans un documentaire récent.
"Pour un petit pays comme le Luxembourg, il n'y a pas de meilleurs ambassadeurs que la famille grand-ducale."
Pour un petit pays comme le Luxembourg, il n'y a pas de meilleurs ambassadeurs que la famille grand-ducale, même s'il est vrai que cela ouvre des portes lors des missions économiques. Pour un grand-duc ou un grand-duc héritier, les portes sont toujours ouvertes. C'est le nation branding par excellence : bon pour l'économie et bon pour l'image du pays, qui est encore souvent assimilé à un simple paradis fiscal à l'étranger.
Comme l’héritier du trône, le prince Charles, n’a que cinq ans et que les missions économiques sont généralement assurées par le grand-duc héritier, c’est donc le grand-duc Guillaume qui devra s’en charger lui-même dans les années à venir. Et oui : le siège de grand-duc héritier au Conseil d’État restera lui aussi vacant pendant longtemps.
Il faut saluer le fait que le nouveau grand-duc ait tenu à souligner sa neutralité politique dans son discours d'investiture, ainsi que sa volonté de s'impliquer en tant que bâtisseur de ponts. Cela ressemble certes à une platitude, mais un homme comme Guillaume y paraît effectivement crédible.
Les déi jonk gréng se sont montrés rabat-joie en envoyant, en même temps que la prestation de serment du nouveau grand-duc, un communiqué enflammé dans lequel ils·elles s'insurgeaient contre le gaspillage de l'argent des contribuables, tandis que leurs collègues de parti plus âgés à la Chambre des députés applaudissaient avec enthousiasme le nouveau couple grand-ducal, mais c'est ce que tout le monde faisait de toute façon, à l'exception des deux députés déi Lénk, qui affichaient ostensiblement une mine renfrognée.
Avec Guillaume, la plupart des Luxembourgeois·e·s devraient certes déjà vivre leur troisième Grand-Duc, mais pour beaucoup, il s'agira probablement du premier passage de témoin qu'ils vivront consciemment.
Les espoirs sont donc grands que Guillaume et son épouse Stéphanie, la nouvelle génération de la famille royale luxembourgeoise, fassent souffler un vent de renouveau sur la cour grand-ducale parfois poussiéreuse, sans toutefois devenir trop moderne et trop ouverte, sans quoi la monarchie deviendrait trop banale, et qui aurait alors encore besoin d'un monarque ?
Lorsque Henri est devenu grand-duc il y a 25 ans, les espoirs étaient également grands. Au moins au début, il les a également satisfaits : Charismatique, sympathique et bien plus proche du peuple que son père Jean, il a ensuite refusé en 2008 – pour des raisons de conscience – de signer la loi sur l'euthanasie légalement votée par le Parlement, ce qui a entraîné une crise nationale.
Le projet de vente des bijoux de famille et le projet d'aliénation d'une partie de la forêt de Grénwald ont également fait la une des journaux.
De son côté, Marie-Thérèse, l'épouse du Grand-Duc, a provoqué un véritable scandale lorsqu'un an et demi après l'accession au trône en 2000, elle a réuni les rédacteur·trice·s en chef des médias luxembourgeois pour se plaindre devant eux de sa méchante belle-mère Joséphine-Charlotte qui, en tant que bourgeoise, lui rendait la vie infernale. Espèce de jamais-vu !
Dans les années qui suivirent, les accusations de mobbing à l'encontre de la femme du grand-duc se multiplièrent, ce qui provoqua un carrousel de personnel tournant à la cour. Le rapport Waringo, du nom de l'envoyé spécial Jeannot Waringo, s'est penché sur tous ces dysfonctionnements, démissions et licenciements, à l'initiative du Premier ministre de l'époque, Xavier Bettel, ce qui a conduit à la création de la Maison du Grand-Duc, où les affaires du chef de l'État sont pour la première fois correctement gérées.
Dans le documentaire Histoire d'un règne : 25 ans au service du Luxembourg, projeté à la Philharmonie à l'occasion de la fête nationale, Xavier Bettel, qui a tout de même été chef du gouvernement pendant dix ans, n'apparaît pas du tout, ce qui montre bien qu'Henri et Maria Teresa sont plutôt rancuniers.
Il est également embarrassant de constater qu'à la fin de leur règne, ces derniers ont d'abord annulé à la dernière minute les interviews qu'ils avaient accordées à la presse locale, pour ensuite se plaindre à haute voix auprès des médias glamour internationaux qu'ils s'étaient sentis dans une cage dorée pendant toutes ces années.
Henri a donc dû avoir un énorme poids en moins sur le cœur, puisqu'il est désormais libre comme l'air après son abdication.
Nous souhaitons bien sûr le meilleur au nouveau grand-duc super-sympathique et à son épouse, mais surtout que son règne ne se termine pas comme celui de son père.
Le roi est mort, vive le … euh : le grand-duc abdique, vive le grand-duc !