Wat leeft? - Microagression

Par Jana Degrott Changer en allemand pour l'article original

Jana Degrott aborde les problématiques sociales les plus urgentes de notre époque. Dans le premier épisode, trois jeunes femmes témoignent de leur combat quotidien contre l'insensibilité et la dévalorisation.

Wat leeft? est plus qu'un podcast. C'est une plateforme pour ceux·celles qui ont été ou sont systématiquement marginalisé·e·s, victimisé·e·s et ignoré·e·s. Avec des invité·e·s qui veulent briser des schémas de pensée bien ancrés et remettre en question le statu quo. Les questions taboues de notre société sont abordées ouvertement et honnêtement. Le thème central de ce projet est le désir de faire du monde un endroit plus libre et plus juste pour tous. Et dans cette optique, Wat leeft? s'adresse à tout le monde.

Wat leeft? - Ep. 1

Microagression

Des questions comme « D'où venez-vous ? … Non ! Je veux dire, d'où venez-vous vraiment ? » peuvent avoir un impact considérable sur les personnes de couleur. Les microagressions, souvent involontaires, sont des petits actes de racisme quotidiens. Trois jeunes femmes luxembourgeoises nous parlent de l'impact de ces discriminations sur la santé mentale.

Maimuna Djaló est une afro-luxembourgeoise qui étudie à l'Athénée de Luxembourg. Son activisme a commencé en 2020 lorsqu'elle a donné une interview à RTL sur les rencontres racistes auxquelles elle a été confrontée au lycée.

Maïté Rassel est une Luxembourgeoise née en Corée du Sud. Elle enseigne actuellement à l'école primaire et a pour objectif d'obtenir un master en sciences de l'éducation l'année prochaine. Depuis son enfance, elle a été confrontée à des discriminations concernant ses origines et son apparence physique.

Imany Lopes est née et a grandi au Luxembourg. Elle milite pour une meilleure représentation des femmes de couleur et rêve d'un monde où chacun a la possibilité de réaliser son potentiel, indépendamment de la couleur de sa peau, de son sexe, de son apparence ou de sa classe sociale.

* en luxembourgeois

Racisme au quotidien : Microagressions et santé mentale

Comprenez-moi bien : ce n'est pas le fait qu'on s'adresse à moi en français qui m'attriste. C'est plutôt le fait qu'on me rappelle quotidiennement que je suis différente. Même si je suis une compatriote luxembourgeoise, je ne suis pas blanche. Cette caissière et les innombrables personnes qui m'ont fait vivre une expérience similaire depuis mon enfance ont toujours été incapables d'imaginer que je serais une luxembourgeoise, que je pourrais parler notre langue et que je serais tout simplement l'une des nôtres.

Mais cela m'amène à poser une question : Suis-je trop sensible ? Suis-je injuste envers la caissière ? Pendant longtemps, j'ai décidé d'ignorer cette forme de racisme quotidien, comme le font beaucoup d'autres personnes dans ma situation. Mais si je me pose constamment la question si le fait que je me sente blessée est justifiée, il y a une deuxième question : qui décide ?

Cette expérience avec la caissière n'est qu'une parmi tant d'autres. Toute personne qui me ressemble ou qui fait partie d'une minorité aura d'innombrables exemples de microagressions à tout moment de la journée.

Et cela fait particulièrement mal lorsque ce sont des personnes par ailleurs bien intentionnées qui me font ressentir cela, qu'il s'agisse d'amis, de membres de la famille ou de collègues, et dont j'espérais qu'ils seraient mieux informés. Mais il ne suffit pas d'avoir « un(e) ami(e) noir(e) » : les microagressions révèlent un problème plus profond au sein de nos sociétés occidentales.

Lorsque nous pensons au racisme, la plupart des gens pensent au KKK, à la traite des esclaves et aux lynchages. Mais qui penserait à une caissière supposant que je ne suis pas luxembourgeoise ? Les microagressions concernent plutôt le racisme vécu au quotidien. Elles sont différentes du racisme visible, et sont souvent mal comprises par ceux qui n'y sont pas confrontés.

Les microagressions font référence à des comportements/communications verbaux quotidiens ou à des actions considérées comme petites, courantes et souvent ambiguës, voire triviales. Elles sont souvent liées à de personnes bien intentionnées qui ne sont même pas conscientes de commettre une agression. Qu'elles soient intentionnelles ou non, ces actions causent du tort et de la douleur, surtout lorsqu'elles s'accumulent au fil des jours et de la vie.

Ils rappellent quotidiennement aux minorités qu'elles ne sont pas à leur place. Les microagressions peuvent être plus ou moins subtiles, mais elles renforcent l'exclusion. Elles envoient un message d'altérité, notamment lorsque l'on cherche à confronter quelqu'un à leur sujet. Accuser quelqu'un de microagression entraîne des accusations de contre-racisme, d'intention mal comprise et de susceptibilité. À maintes reprises, on nous demande, en tant que minorités, de douter de notre expérience vécue. Si vous ne pouvez pas faire le lien, posez-vous la question suivante : combien de fois vous a-t-on dit que vous étiez très éloquent ou que vous parliez très bien votre langue maternelle ? Que vous n'êtes pas « comme les autres blancs », ou que les gens changent de trottoir lorsqu'ils vous voient marcher dans la rue ?

Bien sûr, *vous* personnellement n'êtes peut-être pas coupable de cela, vous ne voyez peut-être même pas la couleur (c'est une autre forme d'invalidation de nos expériences vécues), mais dans l'ensemble, ce sont des expériences courantes pour les personnes issues de minorités, et nous devons en discuter davantage.

Un guide utile

Les microagressions sont :

  • Petites

En général, lorsque nous parlons de microagressions, nous faisons référence à une seule phrase ou action.

  • Courantes

Toute personne noire, brune ou asiatique vous le dira : les microagressions se produisent quotidiennement au travail, après le travail, en vacances, en voyage ou dans tout autre domaine et partie de la vie. Elles sont trop fréquentes et omniprésentes dans nos vies pour qu'on puisse les ignorer ou y échapper. C'est ce qui les rend si problématiques et nuisibles. On peut établir une analogie entre une microagression et un insecte qui vous pique. Si l'insecte vous pique une fois, ce n'est pas grave, mais si cela se produit sans cesse, ce n'est pas seulement ennuyeux ou quelque chose à ignorer. Cela devient quelque chose qui vous préoccupe à chaque pas, qui interrompt votre journée ou vos activités.

  • Subtiles

L'ambiguïté des microagressions fait qu'il est particulièrement difficile pour la personne qui les subit de comprendre pourquoi elle se sent exactement lésée par elles. La victime doute d'avoir été réellement blessée, même si elle en a le sentiment. La personne qui commet la microagression peut être totalement inconsciente du fait qu'elle a dit quelque chose de nuisible qui préoccupe maintenant la victime.

  • Non intentionnelles

Les gens sont généralement bien intentionnés. La caissière voulait être utile, mais c'est pourtant révélateur. Personne n'est à l'abri des préjugés raciaux, tout comme personne n'est à l'abri des préjugés sexistes. Les microagressions le révèlent et mettent en évidence un problème plus vaste, à savoir la façon dont notre société pense et agit à l'égard des minorités. En outre, il est plus difficile de s'attaquer à leurs causes profondes sans susciter des réactions défensives et évasives lorsqu'elles sont signalées.

  • Nocives

C'est l'exposition répétée aux microagressions qui est si nocive. Chaque nouvelle agression crée un traumatisme. Au fil du temps, elle a un impact sur la santé mentale de ses victimes, sur leur comportement même (« Si seulement j'avais l'air différent / je me comportais différemment… »), tandis que la source de cette douleur reste largement invisible et non reconnue. Après tout, comment le commentaire de la caissière aurait-il pu causer du mal en soi ?

Un autre aspect de la question est de savoir à quel point les microagressions peuvent être exténuantes. Pour la plupart des personnes blanches, les microagressions ne font pas partie de leur quotidien. Expliquer ce que sont les microagressions et comment elles accumulent les préjudices, c'est user de patience et d'énergie pour rencontrer les gens là où ils sont, et les éduquer sur leur racisme. Nos expériences et réalités vécues ne suffisent pas : nous devons nous expliquer et expliquer notre douleur, la revivre et la reformuler pour la rendre compréhensible à une personne extérieure. Il s'agit en soi d'un niveau supplémentaire d'injustice qui ne peut être ignoré. Considérer les expériences vécues comme non valables, à moins que l'auteur n'admette qu'il a commis une faute, revient à permettre à quelqu'un d'autre de remettre en question sa santé mentale et sa douleur. Qui peut décider de ce qui constitue un préjudice ? La victime.

Les microagressions ne sont pas un concept nouveau

Le terme de microagression tel qu'il vient d'être évoqué a été proposé pour la première fois par Chester Middle Pierce dans les années 1970, mais les psychologues ont considérablement amplifié le concept ces dernières années

Derald Wing Sue relève trois types d'agressions raciales actuelles :

  • Microagression : remarques ou actions dérogatoires verbales et non verbales explicites / conscientes et intentionnelles.

Se voir délibérément refuser la location d'un appartement en raison de la couleur de sa peau (chose assez courante au Luxembourg).

  • Microinsulte : remarques subtiles, grossières, insensibles à l'identité d'une personne appartenant à un groupe marginalisé.

Exemples :
- Présumer de l'intelligence d'une personne en fonction de sa couleur de peau. On considère que les personnes de couleur sont moins instruites.

– Citoyen de seconde classe : en voyant un enfant de couleur, on suppose qu'il doit avoir des parents pauvres.

– Présomption de criminalité : parce que nous sommes intrinsèquement biaisés, nous sommes plus susceptibles de craindre un homme noir.

  • Microinvalidation : une expérience qui exclut, nie et annule les identités marginalisées d'une personne, qui est insensible, dégradante et grossière.

Exemples :
- L'ethnicité : « Vous parlez très bien le luxembourgeois », « D'où venez-vous ? Oh, du Luxembourg ? Non, je voulais demander… d'où venez-vous vraiment ? » Le message sous-jacent ici est que vous êtes un étranger et que vous n'appartenez pas à cet espace spécifique.

– Le daltonisme : « Je ne vois pas la couleur », « Je ne vous vois pas comme une personne noire/asiatique ». Votre expérience racialisée en tant que membre d'une certaine communauté est remise en question et invalidée.

– Déni du racisme individuel : « Je ne suis pas raciste, mon voisin est noir ». Ce n'est pas pour cela que vous êtes enclin à ne pas commettre d'actes de racisme.

Si tout cela vous semble familier ou vous met mal à l'aise, sachez que l'antiracisme et le désapprentissage des stéréotypes et des réactions racialisées sont un travail continu. Une partie de ce travail est intériorisée par les minorités elles-mêmes, ce qui explique pourquoi j'ai souvent douté de mes propres expériences. Pire encore, les minorités qui sont elles-mêmes confrontées à des microagressions peuvent en être les auteurs envers d'autres minorités.

Si vous êtes blanc : demandez-vous si vous avez déjà agi différemment en présence d'une personne non blanche et essayez de réfléchir à vos actions. En fin de compte, la lutte contre le racisme, sous toutes ses formes, est un combat commun. Le racisme affecte les gens différemment selon la couleur de leur peau, le genre auquel ils s'identifient et leur sexualité. Ces luttes sont intersectionnelles et complexes.