L’artisanat luxembourgeois - Nazih Trad

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La sensation d’être assis dans une voiture en mouvement est souvent considérée comme un acquis. Ça n’en est pas un. Carstec, entreprise qui transforme tout type de véhicule pour les personnes à mobilité réduite, se bat pour changer cela. Son gérant, Nazih Trad, qui a connu plus de haut et de bas qu’un grand huit, sait comment aborder les challenges.

C’est lundi. Biwer, calme, rentre doucement dans la semaine. Le ciel est gris et le vent est frais. A la sortie de son rond-point, sa zone d’activités An der Grousswiss s’ouvre sur un petit parking rempli de camionnettes et de minibus garés devant une façade aspect rouille raffiné. C’est cependant à l’arrière du bâtiment qu’on a rendez-vous.

De l’extérieur, une porte vitrée nous permet d’apercevoir quelques mécaniciens en salopettes noires travaillant sur un minibus dans un petit local, plein à craquer avec seulement 3 véhicules. On entre. Parmi eux, un homme, début de la quarantaine, sort directement du lot. Il porte un t-shirt noir, un jeans bleu clair, une paire de sneakers blanches et, surtout, une casquette à l’effigie de l’entreprise : Carstec. « Nazih Trad, enchanté ! », nous dit-il dans un luxembourgeois charmant aux sonorités allemandes. « Carstec est ma marque. Je vis pour elle. C’est pour ça que je ne sors jamais sans ma casquette. (rires) » Ces quelques phrases suffisent pour ressentir la passion qu’il porte à son métier. Tout souriant, il meurt d’envie de nous montrer ce qu’il fait. Alors que ses employés équipent le minibus de rails, on commence par aller voir son bureau.

Une grande entreprise aux petits locaux

Si on peut appeler ça un bureau. Car à l’image du garage, il est tout petit. Nazih le partage d’ailleurs avec sa secrétaire, qui s’empresse de nous proposer un café. Pour optimiser l’espace, le plan de son plus récent projet recouvre tout le mur. « C’est secret », rigole-t-il. « Mais ça doit tout doucement sortir. Peut-être que je vous le révèlerai plus tard. » Il prend sa tasse de café et s’assoit.

« Ce qu’on fait ici, c’est de l’artisanat », explique-t-il. « Du vrai artisanat. » Plus précisément, Carstec s’est emparé du secteur niche de l’adaptation de véhicules pour personnes à mobilité réduite. Nazih précise : « Systèmes pour s’assoir, élévateurs et supports pour chaises roulantes, rampes d’accès, accessoires… Pour tous les véhicules, jusqu’à 5 tonnes ! » Ceux sur lesquels ils travaillent le plus sont les bus et les minibus.

Afin de pouvoir faire cela, son entreprise collabore avec certains gros concessionnaires du pays, « principalement Mercedes Merbag, mais aussi Ford, Renault, Losch et d’autres ». Les client·e·s vont de particulier·ère·s « qui nous sont parfois envoyés par l’assurance dépendance et qu’on accompagne de l’achat de la voiture à sa transformation » à des compagnies de bus comme « Weber, Sales, Meyers… ». Il semble donc que Nazih se soit construit un petit empire – « le nom Carstec est connu dans le milieu » –, ce qui rend incompréhensible qu’il ait à travailler dans un si petit garage. Pour lui, ce dernier représente néanmoins une grande victoire, car le chemin qu’il a parcouru pour en arriver là était des plus turbulents, fort en rebondissements et en injustices.

Racines libanaises et rêve luxembourgeois

Il y a 25 ans, Nazih n’aurait jamais cru quitter son pays d’origine. « Je n’ai grandi ni au Luxembourg, ni en Allemagne. Je viens du Liban. » De ce temps-là, « j’étais encore jeune, je préparais mon bac, je jouais au foot… ». Mais cette insouciance s’est vite évaporée : « Chez nous, il y avait la guerre. La situation que connait l’Ukraine aujourd’hui, je l’ai vécue. » A l’aube de ses 20 ans, il a donc commencé à se poser des questions.

« Tout ce que je voulais, c’était un futur dans lequel je pourrais être en sécurité. » Nazih a alors fait ses bagages pour l’Allemagne et la Ruhr-Universität de Bochum. « J’ai toujours aimé les voitures, mais je ne voulais pas aller dans cette direction. Je voulais devenir chirurgien ! » Le numerus clausus l’a cependant empêché de prendre ce tournant et il s’est rabattu sur « l’agro-technique, orientation électrotechnique, où il y avait une place de libre ». Son amour pour son job actuel n’est arrivé que plus tard : « Les voitures, c’était spontané. »

Guerre au Liban

Nazih Trad à propos de la guerre qu’il a connue au Liban.

A la Ruhr-Universität, il était seul et habitait dans une « toute petite » chambre. « Je n’avais qu’un visa étudiant, donc je ne pouvais pas travailler pour gagner de l’argent. Ma famille, qui est restée au Liban, n’en avait pas non plus… » Malgré le choc de cultures, il était un élève studieux… pendant plusieurs semestres. Car en deuxième année de son cycle de 4 ans, il est tombé sur prof qui « …disons, n’était pas fan des étrangers ». Dans les cours de ce professeur, impossible pour Nazih d’obtenir de bons points. « Il m’a mis des bâtons dans les roues à un point où j’ai dû quitter l’uni », raconte-t-il. Sans réussite dans son cours, le jeune homme d’origine libanaise ne pouvait pas passer à l’année suivante. Il était donc forcé de redoubler, ce qu’il n’a pas fait. « Je m’étais enfin adapté, je m’y sentais bien… donc ça a été un coup dur. » Au lieu de ça, « l’amour m’a amené au Luxembourg ».

« J’ai déménagé à la Moselle, dans la région de Trèves. » Au Grand-Duché, sa vie change alors du tout au tout lorsqu’il rencontre un propriétaire de vignoble. « J’ai passé 5 ou 6 ans à travailler dans le vin. J’étais dans les vignes du matin au soir. Je m’y connais super bien. » Cette étape de sa vie a cependant pris fin quand la possibilité de reprendre le flambeau lui a été offerte et qu’il l’a refusée. « Le vin est une passion, mais pas un travail pour moi. »

« Le travail main dans la main avec les collègues, je trouve ça magnifique. »

Nazih Trad

Jamais deux sans trois : Nazih a pris un nouveau virage à 360 degrés et, bien intégré, s’est inscrit à l’Université de Luxembourg, filière « Ingénierie – Mécatronique ». A nouveau, il est un élève studieux, si bien qu’il a fini par travailler pour un·e de ses professeur·se·s dont il était une sorte de « bras droit ». Après avoir réussi sa formation « haut la main », un de ses profs l’a appelé : «  Il m’a montré une offre d’emploi qui me correspondait et m’a conseillé de tenter ma chance. » C’était dans une carrosserie de Niederanven. Il l’a fait et obtenu le poste.

Pour la première fois donc, la carrière de Nazih et le domaine des voitures allaient se croiser. Épanoui, il y a découvert que ce secteur était fait pour lui : « Ça m’a plu. Surtout le travail main dans la main avec les collègues. Je trouvais ça magnifique. » Alors chef de projet, tout se passait à merveille. Mais après 9 ans et demi dans l’entreprise, celle-ci a eu quelques problèmes judiciaires et les salaires ne tombaient plus. Suite à ça, « j’ai démissionné. » Et grâce à ses nombreuses heures supp’ et aux jours de congés qu’il n’avait jamais pris, il a pu directement rentrer chez lui où il a retapé sa maison pendant 5 à 6 mois. Un beau jour, en octobre 2018, un ami lui a dit qu’une vieille grange était disponible. L’heure de Carstec avait enfin sonné.

Les premiers pas de Carstec

« Rien que de repenser à la grange, j’ai la chair de poule », avoue Nazih en nous montrant ses poils se dresser sur son avant-bras. Quelques kilomètres à bord de son 4×4 plus tard, nous y sommes. Il se gare sur un des emplacements très limités qu’offre le terrain et sort de sa voiture. « Pour garer tous les véhicules ici, c’était une partie de Tetris ! (rires) »

Grange

Nazih Trad à propos de la grange dans laquelle Carstec a passé un an et demi.

Il prend ses clés et ouvre la porte. « Der Duft kommt schon. Das hab’ ich vermisst ! (La puanteur monte déjà. Ça m’avait manqué !) Mais je la sens encore à chaque fois que j’ouvre mon PC portable », rigole-t-il. La grange n’est autre qu’une petite ferme qui de l’extérieur semble abandonnée. Son odeur est cependant restée aussi forte que si elle abritait toujours vaches et autres animaux de campagne. A l’intérieur, la place laisse également à désirer.

En plus de vieux pneus en vrac « que les clients ne sont jamais venus chercher », deux voitures, dont une en morceaux, reposent au centre. L’autre est une vieille Range Rover Defender 110 : « Achetée 9.700€ sur Ebay ! (rires) » Au fond, de vieux escaliers mènent à l’ancien bureau de Nazih ; une minuscule ‘caisse’ sans fenêtre… « Mein VIP-Büro », blague le fondateur de Carstec. « Mais c’est triste que les petites entreprises n’aient pas l’opportunité de bien commencer… » Heureusement, un an et demi plus tard, Carstec a pu s’offrir de nouveau locaux et laisser une autre phase difficile du parcours de son gérant derrière elle.

Et ce, grâce à son succès. « On s’est très vite fait un nom dans le milieu. On a rapidement gagné beaucoup de clients. Chez nous, la qualité a tout de suite été au rendez-vous. » Expertise, connaissances, prix, prestations, relation-client et solutions innovantes : Carstec avait tout pour elle. C’était la recette parfaite.

Le premier camper produit au Grand-Duché

Aujourd’hui, Nazih a 6 employé·e·s. De retour au garage, trois d’entre eux·elles avancent sur l’élévateur dont ils posaient les rails à notre arrivée. Pas beaucoup plus grands que la grange, les locaux actuels de Carstec sont plus neufs et plus propres. Les conditions de travail y sont considérablement meilleures. Sur le mur du fond, un drapeau du Roude Léiw pend au-dessus d’une grande affiche qui présente logo de l’entreprise.

« On s’est très vite fait un nom dans le milieu. Chez nous, la qualité a tout de suite été au rendez-vous. »

Nazih Trad

« On a standardisé notre offre. Transformer les véhicules est ce qu’on fait majoritairement. Nos meilleurs clients reviennent au plus tard tous les 3 ans avec un nouveau véhicule. » Il ajoute cependant que « ce n’est qu’un département parmi d’autres ». Carstec s’occupe aussi de « la révision des camions de pompiers pour le CGDIS » et des véhicules d’intervention de « la douane, de la police et du Findel ». C’est donc un mélange très diversifié.

Pourtant, ce n’est pas tout. Le Covid a incité Nazih à se réinventer. Alors que Carstec, prestataire de service, a pu continuer son activité comme si de rien n’était, il a essayé de partir en voyage avec sa famille : « J’ai cherché un camper avec 4 couchettes, mais il faut faire des centaines de kilomètres pour en trouver un… » Il a donc décidé de remédier à ce problème pour ceux·celles qui auraient envie de partir « une semaine en Croatie ou un weekend à la côte belge… ». Sa solution se trouve au milieu du garage ; un véhicule grand, mate, kaki. On dirait que le safari s’est invité à l’est du Grand-Duché. Et on reconnaît vite sa forme – c’était donc ça, les plans « secrets » qui recouvrent les murs du bureau du quarantenaire !

Décidé à nous dévoiler son projet donc, Nazih a des étoiles plein les yeux. Il est sur point de partager des mois de travail : « Lynx Expédition Europe 1.0 », un nom qu’il nous confie en exclusivité. Il le connaît par cœur : « Pour la démo, on voulait la crème de la crème. On a 5 confortables couchettes. Une douche de 70 cm sur 70. Une chaudière à eau chaude de 40 L avec commande Wi-Fi. Un routeur WLAN… » Inarrêtable, il reprend son souffle et continue : « Une télé full HD, 22 pouces, système Dolby Surround. Ciel étoilé. Gaz, cuisine, four. Parquet – du vrai – au sol. Ventilation aussi. Pack off road et électricité de quai, panneaux solaires et alternateur – 6kW. » Bref, c’est un « camper de luxe ». Et surtout le « premier » et le « seul » produit au Luxembourg. Personnalisable, son prix ira de « 89.000 à 189.000€. Le client pourra mettre des pierres Swarowski sur le toit s’il le souhaite. (rires) »

« J’aime les voitures et j’aime encore plus voir celles que j’ai transformé sur l’autoroute, mais le plus important, c’est l’aspect humain. »

Nazih Trad

En mode Pimp My Ride en ce qui concerne son camper, Nazih garde néanmoins les pieds sur terre : « J’aime les voitures et j’aime encore plus voir celles que j’ai transformé sur l’autoroute – c’est une fierté –, mais le plus important, c’est l’aspect humain. » Voir quelqu’un qui est paralysé·e des jambes prendre place dans une voiture avec commandes manuelles, « le sourire sur son visage, c’est un sentiment indescriptible ».

Un gérant stressé, mais comblé

Mais si Carstec est passé sous les mailles du filet Covid, « on ressent cependant beaucoup la guerre en Ukraine. » A côté du camper, des escaliers mènent à une plateforme surélevée sur et sous laquelle les pièces sont stockées. Elle donne une vue imprenable sur le garage et ses véhicules. « Elle rallonge certains délais. Les pièces arrivent, mais pas les véhicules – et il faut bien les ranger quelque part… On improvise tous les jours. » Heureusement, en ces temps incertains, il peut compter sur la Chambre des Métiers : « Si je devais les décrire en un seul mot, je dirais 5-Etoiles – avec un tiret (rires) – parce qu’ils sont toujours là pour nous. »

Un autre soucis qui trotte dans la tête du mécatronicien depuis quelques temps est le futur de la branche. « Elle est tout doucement en train de mourir », dit-il. « Kein Nachwuchs. (Pas de relève.) » Selon lui, les jeunes aujourd’hui « veulent tous travailler à la commune. (rires) Ils ne veulent plus changer de pneu. J’appelle ça la ‘Social-Media-Generation’. » Des bonnes personnes, « dans un rayon de 100 km, on n’en trouve pas ».Néanmoins, ces quelques « sources de stress » ne font pas le poids face à l’amour qu’il porte à son travail et à sa société. Contrairement à beaucoup de gérants dont la réussite force à déléguer, lui continue à faire ce qu’il adore : « transformer des véhicules, avec beaucoup d’informatique et d’électronique. » Notre visite terminée, Nazih descend les escaliers et nous raccompagne à la porte. Ses employés ont bien travaillé : l’élévateur est monté, la voiture se ferme bien.

« J’aime ce job », termine-t-il. « Presque tous les jours. (rires) Il y a important, très important et le plus important. L’entreprise est tout en haut, avec ma famille. » Plus aucun challenge ne lui fait peur, il a prouvé qu’il saura tous les surmonter. « Après tout ce par quoi je suis passé, je dis toujours que ‘ce qui ne me tue pas me rend plus fort’. »

Chambre des Métiers

Nazih Trad à propos du soutien que lui apporte la Chambre des métiers.