L'artisanat luxembourgeois - Claude Biever

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L’hiver vient… et le Groupe Toitures et Cheminées, qui réunit Sanichaufer Toitures et Cottyn-Kieffer, s’assure que le Luxembourg le passe bien au chaud. Claude Biever, son gérant, a repris la société, créée par son père en 1966, pour en faire un petit empire. Aujourd’hui, il s’efforce à construire un « bouclier de protection » autour de son activité.

Jour de pont. Foetz et le reste du Luxembourg dorment encore. Chez Groupe Toitures et Cheminées, qui englobe les sociétés Sanichaufer Toitures et Cottyn-Kieffer, les employé·e·s commencent petit à petit à allumer les poêles à bois de leurs showrooms. Dehors, le ciel est gris et l’air frais ; un temps à se poser devant le feu avec un grand café bien chaud.

Claude Biever, le gérant du groupe, est déjà dans son bureau. Reste plus qu’à le trouver. Des ateliers de travail et de stockage aux salles d’exposition et de vente, les locaux du groupe, finalement modestes, semblent énormes. Recouverts de parquet par endroits, entourés de portes en bois et accompagnés de la bonne odeur du feu de cheminée, on se croirait aux sports d’hiver, dans un chalet rustique, prêt à lancer le prochain téléfilm de Noël.

Un demi-étage plus bas, un homme grand et barbu qui dégage une énergie qui donnerait envie de travailler un lundi nous accueille : « C’est vous, les garçons qui viennent pour prendre le café ? (rires) » Claude Biever a un grand sourire communicatif. « Le groupe, c’est pour qu’on comprenne que tout tient ensemble », tient-il tout de suite à préciser. « Mais Sanichaufer Toitures et Cottyn-Kieffer sont deux sociétés distinctes. » Sans plus attendre, il nous invite à aller visiter son atelier ; il ne fait qu’un avec ses entreprises.

« Sanichaufer Toitures construit, répare et fait l’entretien de toitures », explique Claude sur le chemin. « Après, quand on est déjà sur place, on peut aussi proposer d’autres petits travaux. Cottyn-Kieffer, c’est le même principe, mais pour les cheminées. » A elles deux, les sociétés proposent « charpente, couverture, étanchéité, ferblanterie et entretien » pour la première et « ramonage de cheminée, conduits, rénovation par tubage, poêles à bois et foyer et inserts » pour la deuxième. On entre dans l’atelier.

Une grande porte de garage donne sur l’extérieur. Devant elle repose une panoplie de pièces prêtes à partir compléter leur cheminée. C’est une des offres qui font le succès de l’entreprise. « Le client peut venir chez nous, dire ‘J’ai besoin de cette pièce-là’ et le chef d’atelier la dessine avec lui. Deux jours après, elle est prête et il peut venir la chercher devant l’atelier. » Comme des cookies qui sortent du four. Il en va de même pour les chef·fe·s de chantier pour qui la pièce manquante représente souvent un ralentissement. « On a trouvé notre force : on dépanne. On fait ce que les autres ne veulent pas faire. »

« On a trouvé notre force : on dépanne. »

Claude Biever

Si Foetz dort encore, l’atelier, lui, travaille à plein régime. « A gauche, c’est Sanichaufer Toitures. A droite, Cottyn-Kieffer », précise Claude. L’ensemble est recouvert de bleu et d’orange. Un chariot élévateur Toyota se faufile entre les machines, dont une de découpe au laser qui morcelle ronds, carrés et rectangles dans de la tôle galvanisée. Tout fonctionne comme sur des roulettes, le gérant n’a rien laissé au hasard. C’est la base de son petit empire.

Qui s’est construit sur plus de 60 ans, comme nous le raconte Claude au fur et à mesure qu’on passe en revue chaque poste de travail. Premier arrêt, découpe. « Mon père, Jean Biever, s’est mis à son compte en 1959 et a lancé l’activité en nom personnel. Il a commencé en tant que ferblantier et installateur sanitaire. En 1966, il s’est associé à un chauffagiste et ils ont créé Sanichaufer pour faire sanitaire (sani), chauffage (chau) et ferblanterie (fer). »

La formation d’un empire

De ce temps, la société était à Dudelange. Elle allait déménager à Foetz quelques années plus tard, mais appuyons sur pause deux minutes. Parce qu’avant d’en arriver là, Claude écrivait sa propre histoire, qui commence au Lycée Technique des Arts et Métiers : « Quand j’étais jeune, mon père m’a envoyé à l’école des artisans. » Lui voulait devenir cuisinier, mais il n’a pas vraiment eu le choix. « On m’a dit ‘Tu dois faire ça parce que tu as de la chance que ton père ait une société. Ainsi tu ne devras pas partir de zéro.’ » Faire la cuisine est devenu un hobby.

 

Fierté d'artisan

Claude Biever à propos de sa passion pour l’artisanat.

*en luxembourgeois

Un choix forcé dont il est aujourd’hui très heureux : « Être artisan, c’est avoir des connaissances dans pleins de métiers différents. Je suis aussi bien mécanicien qu’ajusteur-tourneur. J’ai eu la chance d’apprendre tellement de compétences qui m’ont permises d’avancer dans toute situation et de devenir indépendant. » Au LAM, Claude a obtenu son diplôme de 11ème et est directement rentré dans l’activité familiale. Il n’en a jamais connu d’autres qu’elle, même s’il aurait aimé faire des stages par-ci, par-là s’il en avait eu le temps.

Arrivé dans l’entreprise, tout lui est tombé dessus en même temps. Deuxième arrêt, pliage. « Mon père est mort très tôt. J’ai donc tout dû apprendre très vite » dans l’optique de reprendre le flambeau. Alors que son frère était à la tête de l’activité depuis, Claude se faisait former par un des technicien·ne·s de la société. « J’ai tout fait en même temps. Mon brevet de maîtrise en tant que ferblantier-zingueur, puis un deuxième en tant que couvreur-ardoisier et à côté, j’apprenais à faire des devis pour des chantiers. » Un période chargée et « loin d’être facile » pour lui.

Ses brevets de maîtrise en poche, il s’est enfin associé à son frère en 1992. Leur duo n’a cependant duré que 4 ans. Aucune dispute à l’horizon, mais une conclusion professionnelle : « Quand je suis arrivé, j’ai rajouté la couverture en ardoises de toitures. Mon frère avait déjà ajouté la climatisation. La charpente devait aussi arriver… En bref, Dudelange était devenu trop petit (pour assumer une telle gamme d’offres) et nos métiers n’avaient plus de lien entre eux. » Ils ont donc divisé le tout en « deux sociétés distinctes indépendantes. »

Sanichaufer est devenu Sanichaufer Toitures en 1994 et a continué à occuper Dudelange jusqu’à ce que Claude trouve ses « locaux actuels de Foetz en 2001 ». Troisième arrêt, assemblage. « Avant d’avoir l’opportunité de reprendre Cottyn-Kieffer en 2003. » Au début, il l’a intégrée à la société… « Mais ce n’était pas une bonne idée », selon lui. « J’ai donc refait de Cottyn-Kieffer une société à part. »

Le tour de l’atelier terminé, Claude se prête au jeu des photos. Format portrait ou paysage ? « Je peux me coucher sur une des tables si vous voulez en faire une dans le sens large », rigole-t-il. « Sinon, je me mets comme un capitaine de bateau ! (rires) » Les deux mains sur un grand levier ressemblant à une barre de voilier – le dérouleur de la bobine à tôle –, il ne manque décidemment pas d’idées loufoques, qui transmettent la bonne humeur à une équipe faisant face au jour le plus dur de la semaine.

« J’ai 85 employés », raconte-t-il en posant pour quelques dernières photos. « 15 équipes parmi lesquelles 5 ne font que des réparations et des petits travaux côté Sanichaufer Toitures et 4 équipes qui font une douzaine de ramonages par jour ainsi que 7 équipes de fumistes côté Cottyn-Kieffer. » Enfin, cerise sur le gâteau, il a ajouté les poêles à bois et pellets à son offre en 2008 « sur demande des clients ». Fièrement, Claude propose aujourd’hui tout le cycle de la toiture à sa clientèle.

« Vous voulez des cafés ? » L’image d’un bon grand café devant un feu de bois, on y est (presque). Claude emprunte le couloir qui mène vers son bureau. Dans ce coin des locaux, tout est plus aéré. Les pièces sont séparées de vitres. Le gérant appelle cet endroit l’aquarium. Alors que les cafés coulent, il pointe un cadre du doigt. Des photos d’un bâtiment atypique.

Passion artisanat

Ce bâtiment atypique, c’est la salle de sport de Walferdange. Sans doute aussi sa plus grande fierté professionnelle. « Un défi artistique et artisanal », dit-il. « Car on a travaillé avec un produit qui avant n’existait pas encore. C’était le premier chantier de RHEINZINK en zinc ondulé, après une phase de tests. J’ai dû dessiner des plans qui n’avaient presque pas de précédent. » Peu de gens pensait qu’il réussirait. Au final, son chantier a été primé.

Chantier référence

Claude Biever à propos du chantier dont il est le plus fier.

*en luxembourgeois

« RHEINZINK l’a mis dans son calendrier 2000 des meilleurs chantiers au monde. Il y avait des photos de Miami, de Moscou, de Bucarest… et du petit Luxembourg ! » Ce genre de « défis personnels » font la réputation de la société et heureusement, car « c’est loin d’être ce qui rapporte le plus ». De plus, la quasi-totalité de l’effectif se mobilise pour, donc « si un chantier pareil sombre, tout sombre ». Le lycée de Mamer en était un autre.

Mais peu importe. Pouvoir être fier de ce qu’on a accompli est justement une des choses qui passionnent Claude. C’est aussi un phénomène qu’il observe sans cesse chez ses travailleur·ses : « Les garçons arrivent le matin et créent les pièces qu’ils iront poser sur chantier plus tard dans la journée. Ensuite, ils les photographient et les postent sur Instagram pour montrer à quel point ils sont bons. Cette satisfaction est très importante, car un artisan doit être fier de son travail accompli. »

« L’amour pour son travail fait la valeur de l’artisan et, donc, de son entreprise. »

Claude Biever

« Pour moi, la passion était là dès le départ », raconte-t-il. Dès sa plus tendre enfance. « Mon premier set de jouets, c’était un sachet de clous, un marteau et une planche en bois. Dès le départ, j’avais les doigts bleus ! (rires) » En grandissant, Claude s’est ensuite attaqué à tout autre chose qui puisse être démontée et remontée. « Ça a évolué comme ça. Un artisanat est toujours une passion. Sans passion, on ne peut pas être artisan. L’amour pour son métier fait la valeur de l’artisan et, donc, de son entreprise. »

Il serait impensable pour Claude Biever, qui a couvert la toiture de sa propre maison par hobby, de renoncer à cette passion, même si « malheureusement, je l’ai délaissée trop tôt ». Quand il faut gérer une société, travailler sur chantier devient difficile. S’il remet son casque d’ouvrier avec plaisir dès qu’il le peut pour « transmettre » sa passion dans le cadre de son rôle de team-leader, son job consiste aujourd’hui en des problématiques bien différentes.

A commencer par son absolue priorité : le côté humain. Au cœur de ses projets, Claude a toujours priorisé une chose : « Le client privé est le plus important. » Ce qu’il considère comme une de ses plus importantes tâches est de donner une attention particulière à chaque réclamation : « Les réclamations pour une société sont très importantes. » Plus que ça, elles sont une opportunité. Un·e client·e chez qui le chantier se passe sans accroc trouve ça normal. « Mais si quelque chose ne se passe pas comme prévu et qu’on solutionne le problème de la façon souhaitée par le client, on gagne des points. La probabilité que ce client nous recommande à ses amis est plus haute que pour un client normal. »

En ce qui concerne ses employé·e·s, Claude sait qu’il a une grosse responsabilité. Pour lui et pour eux·elles. « Regardez tout ce qu’on lit dans les médias », déplore-t-il. « Beaucoup de gens sont déjà déprimés avant même d’arriver au travail. On doit donc réussir à leur remonter le moral. Dans l’entreprise, tout doit être rose pour qu’ils puissent se calmer. C’est comme quelqu’un qui va faire de la boxe pour se défouler. »

Du point de vue de l’entreprise, garder ses bon·ne·s travailleur·ses est aussi primordial : « Cela ne passe pas que par l’argent. C’est aussi une question de confort, d’avantages et de relation qu’on a avec les employés. » La relève est nécessaire. « En décembre, un de nos travailleurs part en pension. Il est là depuis 42 ans. Plus longtemps que moi ! (rires) » Pour ce genre de cas néanmoins, remplacer le partant par une machine est désormais une réelle option.

Les défis d’un chef d’entreprise

Tasses vides, Claude se met en route direction les showrooms. Dans le passé, il a été Président de la Confédération de la Toiture. Il a aussi été « très actif en tant que membre de la commission pour les examens de brevets de maîtrise » de la Chambre des Métiers, qu’il souhaite d’ailleurs louer : « On a eu beaucoup d’aide de leur part ». Pour lui, la formation est donc cruciale et pourtant, elle « ne vaut plus le temps et l’argent investi »…

Former pour rien

Claude Biever à propos du temps perdu à former des apprenti·e·s.

*en luxembourgeois

« Dans l’artisanat, beaucoup d’artisans – moi inclus – sont tristes », regrette-t-il. « Tristes parce qu’ils forment des gens pour finir par les perdre tous. L’Etat, qui ne forme pas, nous prend tous nos apprentis. » Des apprenti·e·s qui désormais ne cherchent un apprentissage que pour obtenir le CAP qui leur ouvrira la porte d’un gros salaire dans une commune. « Ça fait constamment mal. C’est triste de devoir dépendre des frontaliers. »

Son plus gros local de vente accueille les client·e·s avec un énorme tapis gris muni du logo « Fournisseur de la Cour ». Une autre source de fierté, synonyme de qualité. « Le Grand-Duc ne fait pas confiance à n’importe qui », se félicite Claude. « Dans le temps, il n’y avait qu’un Fournisseur de la Cour par métier. Ce n’est plus forcément le cas. Maintenant, elle a plusieurs boulangers par exemple… Mais un ramoneur de cheminée suffit ! ! ! (rires) »

« L’artisanat, c’est le plaisir de se montrer à soi et aux autres ce dont on est capable. »

Claude Biever

Une autre facette de son métier consiste à lire dans une boule de cristal : « Le challenge en tant que chef d’entreprise est toujours de savoir ce qui va arriver avant les autres. On doit s’orienter sur base de ce qui va se passer dans 2 ou 3 ans. » Si le Covid et la guerre en Ukraine, qui ont poussé les gens à repenser et à investir dans leur maison, n’ont eu qu’un impact « positif » sur le secteur de la construction, elles le mettent dans un flou total : « Ce sont deux situations qui ont anéanti notre vue sur le futur. » Mais il en faut plus que ça pour décourager le gérant.

Ces dernières années, Claude a fait des changements dans la société qui s’avèrent aujourd’hui payants : « On ne chauffe plus avec du gaz, mais au bois. J’ai mis des panneaux solaires afin d’être indépendant de l’électricité. On investit massivement dans les voitures électriques pour s’éloigner du carburant. Je m’assure d’avoir des liquidités financières pour ne pas être dépendant des banques… » Tout ça dans un but : limiter au maximum l’impact de l’environnement externe sur sa société. « Je forme un bouclier de protection autour de l’entreprise », résume-t-il.

Malgré ces défis, Claude reste persuadé que devenir artisan·e est un bon choix. « All Handwierk ass de gëllene Buedem. (Chaque artisanat vaut de l’or.) », assure-t-il sur son grand parking, muni de multiples bornes de recharges. Les logos Sanichaufer Toitures et Cottyn-Kieffer illuminent d’orange un Foetz qui se réveille doucement, au rythme des éclaircies.

« C’est simple. Quand on a appris un artisanat, on a du travail pour la vie. Que ce soit boulanger, boucher ou tôlier. C’est également un plaisir », termine-t-il. « Faire quelque chose avec ses mains – qu’on soit artiste ou artisan –, c’est un plaisir. »

« Le plaisir de se montrer à soi et aux autres ce dont on est capable. »