Une inégalité structurelle au détriment des femmes

Par Audrey SomnardMike ZenariLex Kleren

La politologue française Françoise Vergès était de passage à Luxembourg samedi dernier pour donner une conférence et expliquer ce qu’elle entend par féminisme décolonial. Selon elle, la fracture est nette avec le féminisme universaliste qui n’a pas assez tenu compte de la multiplicité des luttes pour les femmes racisées et exploitées. Une conversation qui s’impose pour avancer ensemble dans une lutte commune.

Françoise Vergès a un passeport français, et vit aujourd’hui à Paris. Mais ce n’est pas la métropole qu’elle porte dans son cœur. Fille de militants communistes de l’île de la Réunion, c’est là que la jeune Françoise a grandi et connaît les affres des conséquences de la colonisation, avec par exemple une école calquée sur les programmes de la métropole, sans prendre en compte les spécificités de son île. « On y apprenait les volcans éteints d’Auvergne et pas un mot sur le Piton de la Fournaise de la Réunion qui est pourtant lui bien en activité », explique-t-elle. Sa conscience politique, elle la gagne lors de ses études en Algérie, puis aux États-Unis et au Royaume-Uni, où elle a poursuivi ses études puis a enseigné. Elle était il y a quelques jours à Luxembourg, invitée par l’association Lëtz Rise Up, pour expliquer ce qu’elle entend par féminisme décolonial.

Lëtzebuerger Journal : Qu’entendez-vous par féminisme décolonial et pourquoi faut-il le distinguer ?

Françoise Vergès : Le féminisme que l’on dit universaliste, qu’on pense uniforme mais qui est en fait à majorité blanche, est différent des autres formes de féminisme. Nous avons fini par nous dire que nous ne partagions pas tout à fait les mêmes analyses, les mêmes luttes, les mêmes objectifs et le même vécu surtout. Aujourd’hui nous avons de nouvelles générations de féministes, avec les afro-féministes, les femmes musulmanes qui n’étaient pas présentes dans les années 70, qui posent la question de pouvoir être musulmane et féministe. Il y a de nouveau un bouillonnement qui parait beaucoup plus accentué, tout simplement parce qu’il y a plus de jeunes femmes qui s’investissent, à travers les réseaux sociaux où les débats sont peut-être plus éclatés. La vraie distinction se fait sur le terrain. Ces féministes reprochent au féminisme universaliste de penser que toutes les femmes seraient les mêmes, qu’il y a une condition universelle des femmes, alors que sur le terrain ça ne se passe pas comme ça, que les luttes ne sont pas les mêmes. La représentation en politique par exemple : elle est déjà présente dans les pays du Sud, là-bas les féministes se concentrent davantage sur les conflits sociaux.

Que les femmes soient dominées dans le monde entier, c’est un fait. Elles sont moins bien payées et la pandémie a accentué cet état de fait, particulièrement dans les secteurs mal payés où les femmes sont surreprésentées. Mais une fois que l’on a fait ce constat, les choses se différencient énormément. Et la différence majeure c’est que le féminisme blanc universaliste ne met pas sur un pied d’égalité toutes les autres femmes. Elles continuent à se sentir supérieures alors qu’elles ont besoin de faire leur propre histoire, notamment comment elles ont profité, même indirectement, du colonialisme. Les victoires obtenues se sont fait au détriment de la condition des femmes dans le Sud. Tant qu’il n’y aura pas cette reconnaissance, le travail ne sera pas fait.

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