De la farine dans les veines

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La tradition veut que le pain soit fait avec patience et une pâte à base d’ingrédients naturels travaillée main. En 2021, c’est cependant rarement le cas. A travers sa filière « Zesummen fir Eis Bio Baueren », Cactus combat cette tendance. Jean Kircher, un meunier alsacien amoureux de boulangerie façon slowbaking, fait front avec le supermarché luxembourgeois.

Le pain, autrefois sain, a perdu son statut d’antan. Beaucoup arrêtent aujourd’hui d’en manger parce qu’ils·elles se sentent ballonné·e·s ou le digèrent mal. Comme pour la majorité des domaines, sa production a évolué avec la technologie. On n’a plus le temps, il faut produire vite et en quantité, aux dépens de la qualité. Le discours est le même partout. Ou presque.

Cactus, en constante quête de la meilleure des qualités et souciant de préserver les traditions et la planète, a décidé d’emprunter un tout autre chemin. En 2019, le supermarché luxembourgeois a mis sur pieds une filière productrice de pain 100% régional et biologique intitulée « Zesumme fir Eis Bio Baueren ». Les baguettes et autres produits reposant dans ses rayons boulangerie sont donc faits ‘comme dans le temps’ et avec des farines moulées dans des moulins bios à partir de céréales cultivées dans le respect de nos terres par les partenaires du label.

Jean Kircher, le fondateur de Pains & Tradition, est l’un d’entre eux. Producteur de pain pour Cactus depuis maintenant 20 ans, il s’est allié à la filière en question, avec BIOG (Bio-Bauere-Genossenschaft Lëtzebuerg), dès sa fondation. Une fierté pour ce slowbaker qui se décrit comme un « authentique résistant gaulois » refusant de céder à la modernité et qui clame haut et fort que son pain est l’un des derniers en Europe à respecter les règles de la boulangerie ancienne.


C’est à Hautcharage, au fin fond d’une… zone industrielle, celle de la rue Bommel, qu’il nous accueille. Dans des locaux qui, au premier coup d’œil, ressemblent donc à tout sauf à une boulangerie. Sans le logo qui met en avant morceaux de blé et roue de moulin, on se laisserait vite tromper. Mais à l’intérieur, c’est un tout autre spectacle qui nous attend.

Slow Baker

Jean Kircher à propos du slow-baking, un mouvement qui vise à refaire revivre les méthodes, valeurs et traditions d’il y a 50 ans.

La porte d’entrée donne sur un petit couloir étroit, carrelé de blanc. Jean Kircher nous y attend avec un grand sourire. « Café ? » Il transmet sa passion sans encore en avoir parlé, à travers une énergie débordante. Il épouse l’endroit dans lequel il se trouve. Il est chez lui, fait partie des meubles. Vêtu d’un costume 3 pièces complété d’une veste de travail à l’effigie de sa boulangerie, l’homme de 72 ans qui se démarque par son couvre-chef nous guide vers une petite salle de réunion. « Tout le monde me surnomme l’homme au chapeau de paille » rigole-t-il. C’est un vrai personnage de BD.

Sur le chemin, il nous arrête à un cadre. « Vous connaissez Gaston Vogel ? Un jour, il a publié une tribune dans le Wort dans laquelle il se plaignait de la qualité du pain en général. Ensuite, il nous a envoyé une lettre, à nous, à La Provençale et à d’autres, où il disait la même chose. On lui a alors envoyé trois pains. Regardez sa réponse. » Tout est au mur. Écrit main, le fameux avocat luxembourgeois dit « Merci, merci, de la part d’un fils de boulanger. »

Arrivé à la table de réunion, Jean Kircher s’assoit, prend une première gorgée de son café et raconte son histoire et celle de sa boulangerie. « Je suis au Luxembourg depuis ‘86 » commence-t-il. En effet, il est Alsacien et jongle d’ailleurs entre le français et quelques phrases dans un allemand parfait. « De base, je suis meunier. J’ai été patron de la Nonnemillen à Echternach. On est meuniers de père en fils depuis 9 générations. »

La famille Kircher est « sans doute une des plus vieilles familles de meuniers de France ». Ils se transmettent leur moulin depuis 1740. A ce stade, « on a un peu de farine dans les veines, quoi ». Et c’est son père qui lui fait découvrir la boulangerie en lui disant que, comme il est destiné à reprendre le business familial, « si tu veux servir des clients boulangers, il faut d’abord que tu apprennes leur métier ».

Pains & Tradition, boosté par Cactus

Jean se passionne pour le pain et ouvre sa propre petite boulangerie en ’98. A côté, le, désormais, boulanger participe à des salons. Il y déploie son stand sur lequel il fait gouter son pain au passant·e·s… dont Cactus, « vers 2002 ». C’est le coup de foudre à la première bouchée. « Ils me disent ‘Le pain que vous avez en démo là, ça ne peut pas se faire à grande échelle ?’, je leur réponds ‘Si, bien sûr’ » et le succès est tout de suite au rendez-vous. « On a commencé par de petits pains destinés à la restauration. J’ai directement capté 8 des 12 étoilés Michelin qu’il y avait au Luxembourg. »

« Dans la famille Kircher, on a un peu de farine dans les veines. »

Le reste appartient à l’histoire. Le pain de Cactus et Jean Kircher font mouche. Aujourd’hui, Pains & Tradition compte 6.000m2 sur 2 locaux (le deuxième est à Mont Saint-Martin, en France) desquels un camion part chez Cactus tous les matins et un effectif de 130 employé·e·s, dont 80 à 90 boulanger·ère·s, que Jean qualifie de « top guns ». « En logistique, en qualité, en contrôle-qualité, en labo, à tous les étages… de vrais top guns, je vous dis ! »

Quant à lui, il ne met plus la main à la pâte. Jean se qualifie aujourd’hui comme « le gardien du temple ». Un temple rendu possible par « Cactus qui a été mon booster ». « Ça aurait été difficile sans eux. Notre histoire d’amour dure désormais depuis 20 ans. On se fait mutuellement confiance et on avance dans une et même direction, avec les mêmes valeurs. C’est un bonheur. » Mais assez bavardé, « je vais vous montrer comment on fait du pain avec la main de l’homme. Vous êtes prêts à vous déguiser ? (rires) »

Le boulanger nous tend une charlotte, une veste et des couvre-chaussures jetables. Hygiène avant tout. Au bout du couloir d’entrée, un rideau à lamelles PVC nous sépare de la boulangerie. On enfile notre déguisement et on pénètre le fameux temple dont Jean Kircher est si fier. Il s’agit d’un grand hangar aux murs blanc cassé, au matériel vert sapin et au plafond moutarde. Des machines ? Presqu’aucune, mais une grande équipe de boulangers qui mettent la main à la pâte. On ne peut plus harmonieux.

Dans le sens de la marche, les stations se succèdent dans l’ordre des étapes de la confection du pain. Tout est clean, bien structuré et spacieux. « C’est simple » explique Jean, « à gauche, c’est le bio et à droite, c’est le conventionnel. » Le levain qui repose aux quatre coins de la pièce et le sourire et la gentillesse des employé·e·s Pains & Tradition donnent envie de se mettre au travail soi-même.

Première étape, les matières premières. « La majorité de nos farines viennent de mon moulin familial en Alsace. On y fait de la farine 100% luxembourgeoise. Le blé vient d’ici, est transformé là-bas et revient sous forme de farine. » Les autres ne viennent jamais de loin non plus. « On suit une règle simple : on doit pouvoir se rendre chez chacun de nos fournisseurs en voiture le jour même. Si je dois prendre l’avion pour y aller, il y a un problème. Les produits qui viennent de Chine sont totalement exclus de notre monde. » Les graines de courge présentes sur le pain bio du même nom de Cactus viennent donc directement du Burgenland en Autriche.

A côté d’aliments d’exception acquis à la source, « les 2 facteurs essentiels pour faire un vrai, bon pain sont l’eau et le temps ». « L’eau parce qu’il faut trouver l’équilibre parfait pour que la pâte soit bonne, puisse être fermentée et que les molécules de farines soient digérées. Et le temps parce qu’on ne peut pas faire de pain express. Enfin… si, on peut, mais c’est un pain de merde, quoi. C’est industriel ; ce n’est pas cher, mais c’est pas bon. »

« Pour faire ce qu’on fait, il faut de la patience. Certains essaient de nous imiter, mais, quand ils vont jusqu’au bout, ils se rendent compte à quel point c’est emmerdant, compliqué, lent… On se fait chier, en clair (rires), mais c’est notre engagement. Faire du bon pain, c’est un art. On ne peut pas, comme ça, parce qu’on a lu 3 trucs sur Google, devenir boulanger. »

Et, pour Jean, l’art de faire du pain veut dire suivre les traditions. Comme un·e pizzaïolo ne mettra jamais d’ananas sur sa pizza, lui ne matraquera jamais sa pâte avec des machines. Donc « ici, on fait tout à la main, par l’être humain, et, alors qu’on peut faire une baguette en 45 minutes chez un industriel, nous, on met 6 à 8 heures pour la faire ». « Entre les 2, il se passe quelque chose… »

Tradition

Jean Kircher à propos de la différence entre son pain et les autres.

L’étape clé, souvent ignorée par la boulangerie industrielle, est la plus longue : c’est celle du pétrissage. « Temps de levure, hydratation, temps de pétrissage » récite Jean Kircher comme une encyclopédie sur pattes. « La première fermentation s’appelle le pointage. Chez nous, il peut durer jusqu’à 4 heures avec un rabat manuel toutes les heures. Chez les autres, c’est 20 minutes… au mieux. Pour moi, c’est là que l’arôme et le goût se développent. »

Une fois sa pâte – qui connaît un dosage, lui aussi, beaucoup plus sain que celui du pain moderne, avec notamment 10 fois moins de levure – bien pétrie, c’est l’heure du pesage et de la division. C’est le seul endroit où Pains & Tradition fait appel à la mécanique. « Mais très soft, juste pour diviser. On façonne à la main. Le manuel fait que nos petites boules de pâtes sont aérées. Les machines, au contraire, les transforment en pâte à modeler, en caoutchouc.

Au prochain stand, 2 boulangers ajoutent leurs touches finales aux pains à graines bio. Le premier prend les boules de pâte, les trempe légèrement dans l’eau et les couche dans un bac vert rempli de graines et céréales en tout genre. Le deuxième l’en sort, y dépose un logo comestible de la boulangerie et le pose dans le chariot qui l’emmènera à sa prochaine étape : la cuisson. « Mais avant de passer au four, toutes les pâtes sont remises en forme 2 ou 3 fois. La pâte doit être en bonne place pour que la production gazeuse puisse pousser harmonieusement. »

Car faire un beau pain qui a une belle forme est aussi un challenge quand on suit à la lettre la façon de faire d’il y a 50 ans. « Notre pâte est fragile parce qu’elle contient beaucoup plus d’eau. Donc si elle est couchée sur le côté, elle va faire un pain difforme. On n’utilise aucun ingrédient chimique, de synthèse ou d’enzymes pour nous aider. Chez nous, tout est 100% clean : farine, eau, sel, levain, levure, point. On est la boulangerie la plus propre en Europe. Ça, j’en suis convaincu. Personne ne travaille comme nous. Donc, alors que les autres mettent de l’explosif dans le truc – pouf ! –, des saloperies pour faire de belles boules bien volumineuses comme par magie, nous, on est constamment en train de les repositionner. »

Pour finir, les pains Pains & Tradition passent au four. « Les meilleurs du monde, de la marque Hein, fabriqués au Luxembourg. Ce sont des vedettes. » Ils n’y sont cependant cuits qu’à 75 à 80% avant de partir dans leur caisse en chambre froide – « la seule étape où on cède à la modernité, mais on fait du just-in-time plutôt que du stockage ». Ne pas les cuire à 100% permet à l’enseigne de « livrer toute la planète ».

Cactus a « l’exclusivité en GMS au Luxembourg » et Jean forme leurs employé·e·s pour qu’ils·elles sachent terminer la cuisson « juste comme il faut », mais « on livre aussi beaucoup de restaurants, dans le pays et à l’étranger ». « L’élite de la Côte d’Azur, c’est nous. On est aussi au Qatar, au Japon, à Moscou… » D’ailleurs, « un jour, un chef étoilé m’a dit que ses clients mangeaient énormément de mon pain. Je me suis dit ‘Mets leur plus à manger dans l’assiette et ils en mangeront moins… La dernière fois, il m’a servi un demi-pigeon !’ (rires) »

A l’image de cette anecdote qui témoigne de son franc-parler, Jean Kircher n’est jamais à court d’histoires qui font sourire. En sa compagnie, on ne voit pas le temps passer. Notre visite est déjà terminée. Hôte d’exception jusqu’au bout, il nous tend 3 pains dans les bras. « Personne ne part les mains vides de chez nous. » 2 ‘Pains à l’Ancienne Blanc, 1 ‘Bio Pain Oméga 3’. Et il a eu raison. Parce que goûter son pain, c’est l’adopter.

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