J'ai deux mots à vous rire - L'ami triste de l'armistice

Ce lundi 11 novembre, un nombre inhabituel de voitures immatriculées en France et en Belgique ont convergé vers Luxembourg. Oh, pas celles qui font le trajet chaque jour pour conduire de braves travailleurs jusqu’à leur bureau. Non, des voitures transportant des promeneurs, des touristes, des voisins souhaitant profiter d’un jour férié pour se balader et faire du shopping dans un pays où ce même jour n’est pas chômé.

Enfin, faire du shopping, disons plutôt du lèche-vitrines. Car s’ils bénéficient d’un jour férié ce 11 novembre, ces promeneurs ne sont donc pas salariés au Luxembourg, mais en France ou en Belgique. Et s’ils sont salariés en France ou en Belgique, les magasins de la Ville Haute et leurs prix ressemblent tant à ceux de la zone duty-free de l’aéroport de Zurich, qu’il est plus sage pour eux de ne pas y pénétrer…

Enfin, ce jour férié est souvent la cause de confusions, en tout cas en France. Certains affirment que ce 11 novembre a rendu sa liberté à la France, confondant à l’évidence l’armistice de 14–18 avec la capitulation allemande du 8 mai 1945. Oh, avec toutes ces glorieuses victoires, on s’y perd. Soyons donc un peu plus précis, concernant ce fameux 11 novembre.

C’est surtout l’occasion de rendre hommage au Soldat inconnu. Il est très rare qu’on fasse autant de cas d’un inconnu. En principe, l’inconnu passe inaperçu. L’inconnu est méconnu. Il ne fait pas la Une des journaux, ni l’ouverture du journal télévisé de 20 heures.

Le Soldat inconnu, lui, est tellement célébré qu’il en est devenu célèbre. Un inconnu célèbre, c’est peu courant. Depuis le 11 novembre 1920, chaque soir à 18h30, la flamme du Soldat inconnu est ravivée sous l’Arc de Triomphe. Pour décider qui aurait l’insigne honneur de devenir le Soldat inconnu, il n’y eut pas d’appel public, de concours ou de tirage au sort.

Car pour être inconnu, il y avait un préalable, ne pas être identifiable. L’autre préalable, c’était d’être mort, afin d'éviter des scènes gênantes, du genre "Bonjour, je me présente, Marcel Dugenou, soldat inconnu". Ou bien "Mais je vous reconnais, vous êtes le fameux soldat inconnu". Il y aurait pu y avoir des procès en reconnaissance paternelle, des enfants accusant le Soldat inconnu de ne pas les avoir reconnus. Pire encore, la nature humaine étant ce qu’elle est, un Soldat inconnu à l’identité trop connue aurait pu se montrer indigne de l’honneur qu’il lui avait été fait et devenir un traître à la patrie quelques années plus tard. C’est bien arrivé à un maréchal trop connu.

Le Soldat inconnu a donc été choisi parmi les milliers de cadavres anonymes. En fait, neuf corps ont été extraits des charniers, la seule condition étant qu’ils soient à coup sûr français. Puisqu’ils étaient anonymes, je ne sais pas comment cette certitude a été garantie. Peut-être grâce aux restes d’uniformes emballant les cadavres. En fait, on a sûrement prélevé des corps d’espions allemands déguisés en braves poilus.