Rassasié, propre, sec – et libre ?

Par Melody HansenLex Kleren Changer en allemand pour l'article original

Écouter cet article

Rarement le thème de la liberté n'a été aussi actuel qu'en pleine pandémie mondiale. Rarement chacun·e a autant apprécié la liberté. Cependant, peu de gens pensent au fait que la liberté n'est plus une évidence dans la vieillesse. Comment les mesures privatives de liberté ont-elles été appliquées dans les maisons de retraite luxembourgeoises ? Et pourquoi n'y a-t-il pas de loi pour les réglementer ?

Cet article est mis à ta disposition gratuitement. Si tu veux soutenir notre équipe, inscris-toi à un abonnement !

Nous sommes le 22 mai 2015 lorsque Françoise Seyler est enfin autorisée à rendre visite à sa mère dans sa nouvelle maison de retraite. Pour l'« acclimatation », comme l'avait informé le ministère de la Famille, elle devait laisser sa mère seule dans son nouvel environnement pendant dix jours au préalable. À contrecœur, Françoise Seyler, qui avait vécu avec sa mère et pris soin d’elle à domicile pendant sept ans, s'était pliée à cette demande. Lorsqu'elle entre dans la chambre d'Irène Seyler, 85 ans, vendredi soir, elle a du mal à en croire ses yeux. Sa mère est allongée sans bouger dans son lit, dans une pièce complètement sombre. Elle ne réagit pas, son estomac est très gonflé.

Irène Seyler, à qui l'on a diagnostiqué une démence modérée en 2008, épluchait des pommes de terre avec sa fille peu avant son emménagement. Bien qu'elle soit en fauteuil roulant depuis une opération du genou, elle était encore capable, selon sa fille, de se divertir, de se laver et de manger seule. Ainsi, le 11 mai 2015, le dossier de soins du foyer indiquait encore : « Mme s'assoit en fauteuil roulant toute la journée (…) Résidente se lève de manière autonome selon les instructions », puis plus tard dans la soirée l'indication suivante : « La résidente chante et danse en fauteuil roulant sur la musique ». Dix jours plus tard, le 21 mai 2015, les infirmier·ère·s ont noté : « La résidente n'est plus capable de se lever avec de l'aide, ne réagit pas correctement lorsqu'on lui parle et semble très absente, la résidente ne peut plus tenir correctement les objets et a également du mal à soulever le verre pour boire ».

Françoise Seyler apprendra plus tard que sa mère était déjà sous l'influence de médicaments sédatifs depuis dix jours à ce moment-là. Plus précisément, l'Haldol, un neuroleptique très puissant qui est normalement utilisé pour traiter les syndromes schizophréniques aigus et chroniques. Cependant, les neuroleptiques sont également utilisés dans le cadre des soins gériatriques – généralement lorsqu'une personne a besoin d'être sédatée. « C'est généralement le cas des personnes souffrant de démence. Dans ces cas, les neuroleptiques sont prescrits pour des états d'agitation, pour des comportements agités, parfois aussi pour des rythmes jour-nuit altérés », explique Anja Leist, psychologue et professeure associée à l'université du Luxembourg, dont l'activité principale est actuellement la réduction des risques de démence. Si les neuroleptiques sont prescrits dans le cadre des soins aux personnes âgées, leur utilisation relève du vaste concept des mesures dites de privation de liberté (MPL). À condition qu'ils aient pour objet de restreindre la liberté de mouvement. « Il n'est pas toujours possible de délimiter clairement lors de l'administration de neuroleptiques s'il s'agit d'une privation de liberté ou simplement d'un effet secondaire d'un traitement nécessaire des symptômes », explique Mme Leist. Cependant, dans le cas du traitement par neuroleptiques, l'atteinte aux droits fondamentaux est encore plus grave que pour les autres MPL, du moins selon la loi allemande, puisque l'intégrité physique de la personne concernée est également atteinte.

Définition

  • Fixation des personnes concernées au moyen de dispositifs mécaniques :

    • Empêcher les personnes de sortir du lit en utilisant des barrières de lit ou des couvertures protectrices spéciales, des tabliers de lit.
    • Pantalon fixe dans lequel la personne affectée ne peut plus quitter la chaise ou le fauteuil roulant
    • Application de menottes de mains, de chevilles ou corporelles.
    • Mise en place de ceintures de sécurité, de ceintures de corps ou de ceintures abdominales au lit ou dans un fauteuil (roulant).
    • Mise en place de couvertures, de draps ou de sacs de couchage protecteurs.
    • Mise en place des ceintures de sécurité sur le fauteuil (roulant)
    • Renforcement des tables/tabourets de thérapie sur le fauteuil (roulant)

    Enfermement des personnes concernées :

    • Portes difficiles à passer
    • Verrouillage de la porte de la chambre d'un résident
    • Verrouillage des sorties connues et utilisables par le résident.
    • Illusion concernant les serrures existantes sur les portes
    • Empêcher les personnes de quitter l'établissement ou le service en utilisant des mécanismes de verrouillage particulièrement compliqués (par exemple, des serrures truquées ou des combinaisons de chiffres) ou en verrouillant temporairement la porte d'entrée pendant la journée ou la nuit sans donner de clé à la personne prise en charge ou en s'assurant que la porte ne peut être ouverte d'une autre manière.
    • Poignées de porte montées en hauteur
    • Poignées tournantes
    • Ascenseurs sécurisés

    Des médicaments sédatifs tels que :

    • Les somnifères, les neuroleptiques et autres psychotropes, s'ils sont administrés :
      - pour empêcher le résident de se déplacer dans l'établissement ou de le quitter
      - pour faciliter les soins infirmiers
      - pour établir le calme dans le service ou au sein du foyer.

    Autres dispositions :

    • Verrouillage du fauteuil roulant
    • Contrainte à l'entrée du foyer par le personnel
    • Enlever les vêtements et les chaussures des résidents
    • Retrait du moyen de locomotion (par exemple: fauteuil roulant, déambulateur)
    • Retrait des aides visuelles
    • En exerçant une pression psychologique et en utilisant les interdictions, la ruse, l'obligation et/ou les menaces.
    • Interdiction de quitter la chambre, le service ou la maison
    • Mesures électroniques (émetteur attaché à un vêtement, une chaussure ou un poignet) - discutable

Pourtant, la fille, qui était la seule personne de confiance indiquée au foyer, avait expressément demandé que sa mère ne reçoive aucun médicament sédatif lors de son emménagement. En 2012, Irène Seyler n'avait pas supporté un médicament de la famille des neuroleptiques (Rispedal) après une opération du genou. La maison de retraite n'a pas tenu compte du souhait urgent d'éviter la répétition de cette expérience. La raison invoquée par le médecin ayant prescrit de l'Haldol de manière non clarifiée était qu'Irène Seyler avait présenté un comportement agressif. Comme elle n'aime pas que des inconnus la touchent, elle a apparemment commencé à se comporter de manière provocante envers les infirmier·ère·s. Une circonstance qui aurait pu être gérée différemment par un contact avec sa fille, estime cette dernière.

Françoise Seyler panique alors à la vue de sa mère – et est ensuite priée de sortir par le personnel soignant. Un jour plus tard, elle revient, l'état de sa mère est inchangé. Après plusieurs demandes, la maison de retraite appelle une ambulance. À l'hôpital, on diagnostique chez Irène Seyler une anorexie, une déshydratation et une somnolence (un état de somnolence sous forme de perte de conscience), puis une insuffisance rénale aiguë. Cela ressort de la lettre de sortie de l'hôpital. Dans une déclaration ultérieure, la docteure traitante parle également d'une overdose d'Haldol, qu'elle mentionne comme une raison possible de l'insuffisance rénale.

La raison de cette déshydratation se trouve dans la documentation de la maison de retraite, que le Lëtzebuerger Journal a pu consulter. Irène Seyler a reçu trop peu de liquide entre le 12 et le 22 mai. Pendant cette période, la quantité de liquide documentée se situait entre 550 ml et 1150 ml par jour. Entre le 13 et le 16 mai, elle n'était même que de 300 ml par jour.

À cela s'ajoute le caractère discutable de l'interdiction de visite de dix jours pour « s'acclimater ».  Le professeur et docteur Rolf D. Hirsch, spécialiste en neurologie, gériatrie, médecine psychothérapeutique et psychanalyse de Bonn, à qui Françoise Seyler avait demandé un avis sur le cas, y écrit : « Le retrait d'un proche parent avec lequel une relation étroite existe depuis des années est très discutable du point de vue médical et infirmier ». Et encore : « Cette procédure peut provoquer une détérioration irréversible de l'état psychophysique d'une personne atteinte de démence. »

Les expériences de Françoise Seyler et les informations contenues dans son dossier de soins dressent un tableau inquiétant. Le livret thématique « Freiheitsentziehende Maßnahmen und Gewalt in der Altenpflege », publié en 2010 par le RBS-Center fir Altersfroen et l'université du Luxembourg, souligne les défis auxquels les maisons de retraite du Luxembourg étaient déjà confrontées il y a onze ans. De cette manière, au début du livret thématique, Wolfgang Billen présente une étude réalisée dans le cadre du cours de maîtrise en gérontologie de l'université du Luxembourg. Il y écrit par exemple : « L'évaluation des questionnaires du personnel d'encadrement a montré que le Luxembourg – malgré des ressources humaines et financières relativement élevées – avec un taux de fixation de 53,5% et une administration de psychotropes à 61,8% des résidents se situe dans le segment supérieur en comparaison internationale. » Il s'agit de la dernière étude de ce type à ce jour. La situation actuelle – onze ans et une pandémie plus tard – est difficile à déterminer. Le Lëtzebuerger Journal s’y essaie quand même.

« Nous ne sommes pas la police sur le terrain. Nous ne pouvons pas observer tous les soignants pour éviter que quelque chose se passe mal. »

Claude Siebenaler, responsable du département des personnes âgées au ministère de la Famille

Au cours de la recherche, il apparaît rapidement qu'en 2021, la déclaration suivante de Wolfgang Billen est toujours correcte : « Il n'existe pas de dispositions légales spécifiques au Luxembourg qui réglementent d'une manière ou d'une autre le recours aux mesures de privation de liberté. Il n'est pas précisé qui peut ordonner des mesures de privation de liberté, quelles sont les raisons qui justifient l'application, sur quelle période les mesures peuvent être appliquées et comment doit se présenter le réexamen des décisions prises. Comme il n'existe pas de lignes directrices pour la documentation des mesures de privation de liberté, il n'y a aucune possibilité de contrôler leur utilisation. »

Une circonstance que Françoise Seyler a voulu changer avec une pétition. Afin d'éviter que d'autres personnes ne subissent le même sort que sa mère, elle estime qu'il faut une loi qui réglemente en détail le recours aux mesures privatives de liberté, comme c'est le cas en Allemagne, par exemple. En février 2021, elle a soumis la pétition 1751 « pour une interdiction stricte de la sédation (contention, sanglage précoce) et un système de soins plus humain pour les personnes vulnérables dans les institutions au Luxembourg », afin que « la santé et le bien-être des résidents soient la priorité, et non l'orientation vers le profit ».

Au Luxembourg, l'application des MPL aux patients est actuellement laissée à la discrétion du foyer, tout comme la gestion de la pandémie est laissée à la discrétion de la maison de retraite concernée. Il n'existe pas d'autorité de contrôle indépendante. Les contrôles sur place sont difficiles, admet Claude Siebenaler, responsable du département des personnes âgées au ministère de la Famille. « Nous ne sommes pas la police sur le terrain. Nous ne pouvons pas nous tenir derrière chaque soignant pour éviter que quelque chose se passe mal. » Actuellement, le ministère de la Famille accorde un agrément aux maisons de retraite en fonction de leur infrastructure et de leur personnel. Pour obtenir l'autorisation, le logement doit avoir une certaine largeur de couloir ou des rampes sur les murs, par exemple. Le personnel doit, entre autres, avoir une certaine qualification et parler luxembourgeois. Une fois cette approbation accordée, le ministère n'est plus responsable. « Ce n'est pas suffisant, nous en sommes conscients », déclare M. Siebenaler. Le ministère de la Famille condamne tout cas de mauvais traitement des personnes âgées vulnérables et s'engage à les protéger. Afin de mettre en pratique cette promesse, le projet de loi portant le numéro 7524 a été déposé à la Chambre des députés le 20 février 2020 et suit depuis lors le processus parlementaire.

Un contrôle accru

« L'objectif de la loi est de mettre encore plus la personne au centre. Le résident doit être en mesure de participer activement à sa routine quotidienne. » Les résident·e·s doivent également avoir droit à un comité d'éthique au sein du foyer. « Ce n'était pas une exigence auparavant », dit M. Siebenaler. Actuellement, il appartient à chaque maison de soins de décider si elle dispose ou non d'un tel comité de surveillance. « Nous sommes en train de réfléchir à la question de savoir si ces comités d'éthique obligatoires devraient également être liés entre eux, formant une sorte de parapluie. » Au cours des 13 derniers mois, le ministère de la Famille dit avoir beaucoup appris et prendre également à cœur les critiques de la Commission consultative des droits de l'Homme. La pandémie a conduit à ce que le projet de loi soit encore en voie d'amélioration. M. Siebenaler ne peut pas encore dire quand la loi sera adoptée.

Alain Brever

Toutefois, un article de la loi est déjà clair : des formations en psychogériatrie seront obligatoires pour les employé·e·s des maisons de retraite. Celles-ci sont déjà proposées en coopération avec le RBS – Center fir Altersfroen. « La gestion de la privation de liberté est un sujet quotidien dans le domaine des soins », déclare Alain Brever, directeur du RBS. Dans ce contexte, il est important de savoir quelles personnes sont concernées. Dans les maisons de retraite et les structures accueillant des personnes âgées, ces mesures ne sont utilisées selon lui, « dans les rares cas où elles le sont », que pour les personnes souffrant de démence. Les maisons de retraite du Luxembourg comptent environ 30% de personnes souffrant d'une forme de démence. « Parmi ces 30%, tous ne sont pas dans une situation où de telles MPL pourraient être appliquées », souligne M. Brever. Mais si c'est le cas, la raison en est généralement la prévention des chutes. « La personne atteinte de démence ne sait pas qu'elle va tomber quand elle se lève. » Qu’il ou elle le fasse tout de même parce qu'il ou elle ne se sent pas bien, c'est là la pire chose qui puisse arriver dans une maison de retraite. « Il est statistiquement prouvé que le chemin qui mène d'une chute à une prothèse de hanche ou à une nouvelle perte de mobilité n'est plus très loin de la mort. » Après une chute, un cercle vicieux d'hospitalisations et de justifications auprès de la famille commence en général. En outre, l'indicateur de qualité actuel au Luxembourg mesure la qualité des soins par la fréquence des chutes. Tou·te·s les employé·e·s travaillant dans une maison de soins infirmiers essaient toujours d'empêcher une personne de tomber. Selon M. Brever, une MPL est toujours le dernier recours.

« Il ne suffit pas de dire que nous allons ouvrir toutes les portes, mettre fin à toutes les MPL et laisser les gens se débrouiller seuls. Il s'agit de protéger les gens. »

Jörg Bidinger, gérontologue

En 2010, Jörg Bidinger a été l'un des auteurs de la brochure thématique « Freiheitsentziehende Maßnahmen und Gewalt in der Altenpflege » (« Mesures privatives de liberté et violence dans les soins aux personnes âgées »). Il travaille aujourd'hui encore en tant que gérontologue au RBS. « Ce n'est pas comme si rien ne s'était passé après l'étude que nous avons réalisée il y a onze ans en collaboration avec l'université du Luxembourg », souligne-t-il. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de loi au Luxembourg que ces mesures seraient utilisées de manière inflationniste. C'est plus compliqué que cela : « Il ne suffit pas de dire que nous allons ouvrir toutes les portes, mettre fin à toutes les MPL et laisser les gens se débrouiller seuls. Il s'agit de protéger les gens. »

Alain Brever à propos de la formation dans le domaine des soins aux personnes âgées

*en luxembourgeois

La formation des employé·e·s est bien plus importante qu'une loi, dit-il, comme c'est le cas actuellement dans le projet de loi. Les infirmier·ère·s doivent être informé·e·s de ce que sont les MPL et de ce qui conduit à leur utilisation. « En utilisant des programmes alternatifs, ils apprennent à réduire le nombre de MPL. Parce qu'ils travaillent avec la personne concernée, par exemple, pour renforcer sa force musculaire, ils finissent par réduire le risque de chute. » Dans le plan national sur les démences qui est entré en vigueur en 2013, un travail de sensibilisation des foyers ainsi que du grand public est donc inclus. La formation « psychogériatrie » s'adresse à 40% du personnel des établissements hospitaliers et semi-hospitaliers et permet d'acquérir une connaissance de base de ce qu'est la démence, de mieux communiquer avec les personnes qui en souffrent et de gérer les comportements difficiles. « Si je le sais en tant que membre du personnel, je risque moins de me retrouver dans une situation où je ne sais pas comment m'y prendre », explique M. Bidinger. Le RBS propose en outre des cours tels que la prévention des chutes, mais aussi la résilience au stress mental dans la vie quotidienne sur le lieu de travail afin d'améliorer la gestion du stress des employé·e·s des maisons de retraite. « De cette manière, nous pouvons contribuer à réduire l'utilisation des MPL. »

Jörg Bidinger sur les mesures privatives de liberté et les alternatives à celles-ci

*en luxembourgeois

Le gérontologue n'a pas non plus connaissance d'une étude selon laquelle un règlement statutaire aurait conduit à une réduction des MPL. Il existe cependant des études sur le fait que la formation du personnel conduit à une telle réduction. Alain Brever, directeur du RBS, pose la question suivante : « Si c'est inscrit dans la loi et que le juge dit que la personne peut être attachée, est-ce moins grave ? » Que ce soit l'infirmière, la direction, un homme ou une femme médecin ou finalement un tribunal qui prenne la décision, « il s'agit d'une grande responsabilité d'utiliser une MPL et cela devrait être la toute dernière mesure. » Toutefois, selon lui, une loi pourrait avoir un effet complémentaire et apporter de la sécurité : « Elle peut être utile pour le soignant, la personne âgée et sa famille. Pour le soignant, il peut le cas échéant mieux se défendre contre la direction, la famille ou le ministère. »

Pour sa part, Anja Leist est favorable à une loi réglementant l'utilisation des MPL. « De sorte que l'on évite le recours inutile aux MPL dans des cas individuels et que l'on crée une sécurité – tant pour les proches que pour les soignants. » Selon elle, une formation combinée à une loi serait idéale. Chaque fois que l'on rapporte que des proches se voient appliquer une MPL contre leur gré, comme dans le cas du « Blannenheem » ou celui d'Irène Seyler, cela montre qu'une loi serait la bonne solution. « Il s'agit également de donner aux soignants et aux médecins la certitude que toute mesure se déroule de manière éthique et légale dans un cadre sécurisé. » La chercheuse estime que « pour chaque raison où l'utilisation de MPL semble être une solution, il existe une alternative qui garantit que ces mesures n'ont pas à être utilisées. »

L'innovation en matière de soins gériatriques

  • Ces dernières années, Alex* a pu observer comment les innovations facilitent de plus en plus le travail dans les maisons de retraite. Un exemple est ce qu'on appelle le lève-patients, qui aide à soulever les personnes hors du lit. «Cela entraîne beaucoup moins de blessures pour le personnel et les gens ont plus de liberté». Ce qu'il apprécie particulièrement, c'est la valeur que le Luxembourg accorde à la formation continue. Tout récemment, il a lui-même suivi un cours sur le suicide, la fin de vie et les neuroleptiques.

    Alain Brever mentionne des alternatives aux barrières de lit, comme les tapis qui déclenchent un signal à l'aidant·e lorsque la personne se lève du lit. Les institutions pourraient entre-temps commander des lits de soins qui sont presque à même le sol et desquels on peut difficilement tomber. Cela donne au·à la résident·e la liberté de se lever du lit sans risquer de se blesser s'il·elle tombe. Il existe également des montres avec GPS intégré : «De nombreuses personnes atteintes de démence sont en bonne forme physique et peuvent trouver leur chemin hors d'un bâtiment, mais ne seraient certainement pas capables de retrouver le chemin de retour vers leur foyer», explique Brever. Pour pouvoir localiser une personne, un·une proche doit signer un document qui l'y autorise.

    Anja Leist observe également les innovations à l'étranger. Aux Pays-Bas, il existe des chambres dites Snoezle: il s'agit d'un espace physiquement limité, équipé de matériaux doux et de musique douce. Comme une grotte à câlins, dans laquelle les gens peuvent bien se détendre. La Alzheimer Society d'Angleterre recommande une poupée câline que l'on accroche autour du cou. Cela aurait également un effet calmant sur les personnes particulièrement agitées en raison de la démence.

Dans sa réponse au Lëtzebuerger Journal, le ministère de la Famille a du mal à ancrer la réglementation des MPL dans une loi. « La loi devrait ensuite contenir un “concept de bientraitance”. La “maltraitance” doit de préférence être quelque chose qui n'existe plus », dit Claude Siebenaler. « La question est de savoir jusqu'où quelque chose doit être précisé dans une loi jusqu'au bout, et jusqu'où l'administrateur de l'institution doit pouvoir conserver une certaine liberté ». Après tout, les maisons où vivent les personnes atteintes de démence ont des exigences différentes les unes des autres. La question des MPL n'a pas encore été rédigée par écrit, mais elle peut être discutée. « Nous sommes prêts à faire un pas en avant. L'humain mérite un respect absolu », souligne M. Siebenaler.

Une meilleure gestion des plaintes

Afin de s'assurer qu'à l'avenir, il soit clair à qui s'adresser si l'on constate des MPL prises de manière abusive, une gestion des réclamations sera également incluse dans le projet législatif. Selon ce texte, chaque maison de repos doit mettre en place un système de gestion des plaintes. Ceux·celles qui n'y obtiennent pas de réponse devront s'adresser au ministère. « Nous continuons à réfléchir à ce que nous pouvons encore mettre en place en tant que ministère pour donner aux gens plus d'options à cet égard. »

« Pour chaque raison où l'utilisation de MPL semble être une solution, il existe une alternative qui garantit que ces mesures n'ont pas à être utilisées. »

Anja Leist, chercheuse à l'université du Luxembourg

Anja Leist considère d'un œil critique le besoin avancé par les maisons de retraite d'être libres de déterminer leur propre fonctionnement en raison de diverses circonstances. « Il serait bien que les mêmes normes soient créées pour tous les résidents des maisons de repos. Les directives devraient émaner du ministère de la Famille », explique la chercheuse. Même pendant la pandémie, elle aurait apprécié que toutes les maisons de soins puissent bénéficier des solutions créatives. Certaines ont été trouvées par l’une ou l’autre maison. « Nous, chercheurs de l'université, sommes toujours prêts à aider et à donner nos recommandations », dit-elle en s'adressant au ministère de la Famille.

Anja Leist

Jörg Bidinger souligne que la situation actuelle n'est pas comparable à celle d'il y a 20 ans. Avec l'introduction de la loi sur l'assurance dépendance, les gens ont tendance à vivre chez eux beaucoup plus longtemps. « À l'inverse, cela signifie qu'ils sont dans un état de santé plus fragile une fois qu'ils sont dans une maison de retraite. Cela peut aussi avoir un impact sur leur état cognitif, donc il n'y a pas de comparaison possible. » Autrefois, les gens se rendaient à la maison de retraite lorsqu'ils se sentaient seuls, ajoute Alain Brever. « C'était une sorte de communauté résidentielle dans laquelle ils vivaient parfois pendant 30 ans. Aujourd'hui, ils y vivent peut-être pendant un à deux ans. » Le nombre d'employé·e·s par étage est également beaucoup plus élevé maintenant. Là où il y avait un·e infirmi·er·ère, il y a maintenant toute une équipe. C'est pourquoi il est pratiquement impossible de comparer les chiffres des MPL entre eux.

Le Luxembourg n'est actuellement pas (encore) confronté à une pénurie de personnel infirmier. « Notre ratio de personnel est bon par rapport à d'autres pays », affirme Alain Brever. Bien sûr, il y a toujours des possibilités d'amélioration, et chaque infirmi·er·ère aimerait avoir plus de temps. « Mais nous n'avons pas d'urgence dans ce sens, comme c'est le cas dans d'autres pays. » Alex* le confirme également. Il est infirmier dans un étage où ne vivent que des personnes souffrant de démence sévère. « La communication et la fonctionnalité d'une équipe ont plus de valeur que l'augmentation du personnel », dit-il.

Jörg Bidinger

Selon Alex, le public ne comprend pas bien le fonctionnement d'une maison de retraite. « La privation de liberté ou la violence dans les soins ne sont pas seulement physiques », dit-il. Cela n'arrive presque jamais dans la réalité ; il n'a en tout cas jamais été témoin de violences physiques au cours de sa carrière. Un exemple typique qui se produit est celui d'une personne en fauteuil roulant qui est placée si près de la table qu'elle ne peut plus bouger. Les MPL sont déjà abordées dans la formation de chaque soignant·e. Pour les membres de la famille, le placement d'un proche est généralement une question difficile et émotionnelle. « En faisant cela, on admet sa propre faiblesse, qu'on ne peut plus prendre soin de soi. On se rend compte que la vie change et que nous vieillissons tous. » Se faire soigner signifie faire confiance – et ce n'est pas toujours facile.

Alex observe ce manque de compréhension notamment sur les médias sociaux. « Les proches postent des photos d'une pièce où il y a du désordre. Dans les commentaires, les gens s'énervent ensuite sur le fait que leurs proches doivent vivre dans ce foyer. » Bien que l'on ne puisse en voir qu'un extrait sur internet, la réalité est très différente. Sur son lieu de travail, on essaie de donner aux gens autant de liberté que possible malgré une démence sévère. Après les soins, ils poursuivent leur vie quotidienne. « S'ils ressentent le besoin de vider leur armoire, de renverser une chaise ou de déplacer des tableaux, nous ne les en empêchons pas. »La personne atteinte de démence cherche du réconfort à ce moment-là. « Si nous devions constamment nettoyer après eux, premièrement nous n'aurions jamais fini et deuxièmement, la personne atteinte de démence ne serait pas heureuse." »

La question de l'immobilisation

Une question que l'on pose souvent aux infirmier·ère·s concerne l'immobilisation médicale. « Le personnel des maisons de retraite ne peut pas prendre cette décision », dit Alex. Les médicaments sédatifs, y compris les neuroleptiques, ne peuvent être prescrits que par des médecins. Cette sédation serait très rarement prescrite dans le meilleur intérêt du·de la résident·e et de ses soignant·e·s. « Si ces médicaments sont utilisés, le résident a besoin de soins plus intensifs car sa mobilité est énormément réduite. » Le processus de vieillissement est extrêmement accéléré.

« Il y a vingt ans, une maison de retraite était une sorte de communauté résidentielle dans laquelle les gens vivaient parfois pendant 30 ans. Aujourd'hui, ils y vivent peut-être pendant un à deux ans. »

Alain Brever, directeur du RBS

Cependant, les personnes atteintes de démence sont parfois dépassées par leurs propres sentiments ou mettent les autres en danger. « Elles sont constamment nerveuses et vivent dans un état d'anxiété permanent ». C'est alors que l'utilisation de médicaments calmants pour améliorer leur propre bien-être prend tout son sens. Le soignant a également pu observer à plusieurs reprises comment l'utilisation ciblée de médicaments calmants avait un impact positif sur la relation avec la famille. « Certains proches ne voulaient plus nous rendre visite car ils ne voulaient pas voir leur bien-aimé dans cet état. Ou bien ils se sont trop souvenus d'expériences traumatisantes avant leur séjour en maison de retraite. De nombreux patients atteints de démence sont devenus violents à la maison. » Une maison de retraite fournit la distance nécessaire. Avec des soins appropriés et une routine, le·la patient·e atteint·e de démence se sent idéalement compris·e.

© Lex Kleren

À l'étage où travaille Alex, la plupart des personnes sont déjà sous traitement à leur arrivée. « Nous essayons autant que possible de nous éloigner de cela et de comprendre comment la personne fonctionne dans sa forme la plus pure. » Par conséquent, chaque cas est réexaminé d'un mois à l'autre et la dose de médicament adaptée en fonction des besoins.

Cependant, Alex connaît aussi l'autre facette de la violence dans les soins. « Il arrive souvent que les résidents nous attaquent physiquement. J'ai des cicatrices de mon travail et j'ai des collègues qui doivent vivre avec les conséquences de la violence d’un autre pour le reste de leur vie », dit-il. À son étage, les infirmier·ère·s rentrent régulièrement chez eux·elles avec des bleus, et doivent expliquer à leur famille que ce n'était pas la faute de la personne qui avait fait ça. Les employé·e·s qui ont travaillé toute leur vie dans le secteur des soins et qui prennent leur retraite ont presque toujours des problèmes physiques chroniques. C'est un fait dont les soignant·e·s sont conscient·e·s. « Nous savons pourquoi nous le faisons et pourquoi nous aimons toujours faire notre travail. » Même si ce n'est pas professionnel, il est inévitable d'établir une relation avec les résident·e·s. Si leur état se détériore, cela a également un effet sur l'esprit des soignant·e·s. La profession n’est de loin pas pour tout le monde, beaucoup de stagiaires sont rebuté·e·s, d'autres collègues démissionnent après quelques années. « Mais si le travail vous convient et que vous avez la force mentale pour le faire, vous pouvez faire d'une maison de retraite un endroit agréable où les personnes âgées peuvent passer le crépuscule de leur vie en paix. »

L'infirmier conseille aux membres de la famille de toujours échanger avec le personnel soignant. D'après son expérience, la plupart des gens sont positifs après une telle conversation. Alain Brever conseille également : « Toute personne qui constate, en tant que proche, que la personne âgée est absente devrait toujours en parler au médecin. La communication est importante. La famille a le droit de s'intéresser aux médicaments que prend la personne âgée et à leurs effets secondaires. » Alex pense qu'il est dommage que des sentiments négatifs soient associés aux maisons de retraite. « On pourrait donner beaucoup plus de courage aux gens avec des histoires de maisons de retraite. Je connais des gens qui ont réappris à marcher là-bas après avoir été en fauteuil roulant pendant deux ans. »

« Il arrive souvent que les résidents nous attaquent physiquement. J'ai des cicatrices de mon travail et j'ai des collègues qui doivent vivre avec les conséquences de la violence d’un autre pour le reste de leur vie. »

Alex*, soignant dans un étage pour patients atteints de démence

Une fin heureuse que Françoise Seyler n'a pas eu le droit de connaître. La lettre de sortie de sa mère indique qu'Irène Seyler est décédée à l'hôpital le 1er juin 2015 « subitement après un soin de propreté, probablement à la suite d'une embolie pulmonaire massive ». Trois semaines après qu'elle a emménagé dans la maison de retraite.

Il n'est pas possible de dire si sa mort est due à l'utilisation de neuroleptiques. Aucune autopsie n'a jamais été pratiquée. Le Prof. Dr. Hirsch écrit également en conclusion dans sa déclaration : « Il est toujours difficile d'identifier une cause unique de décès chez les personnes âgées multimorbides, car plusieurs facteurs interagissent généralement de manière négative. » Après que Françoise Seyler a déposé une plainte contre X en décembre 2015, dans le but de créer un précédent pour le Luxembourg, l'affaire a été abandonnée quatre ans plus tard. Le parquet général écrit à ce sujet en mars 2019 : « La cause du décès ne pouvant être déterminée avec certitude rétrospectivement, la question d'un lien de causalité entre le traitement à l'Haldol et la survenue du décès le 1.06.2015 ne peut être évaluée avec certitude […]. »

Même si la pétition de Françoise Seyler n'a pas recueilli suffisamment de voix avec 1.088 signatures pour organiser un débat public au Parlement, elle espère que les responsables politiques parleront de la réglementation des mesures de privation de liberté dans les soins aux personnes âgées. Après six ans de poursuite de la justice, elle est épuisée et en colère – elle se sent impuissante. Les personnes qu'elle rencontre lui disent souvent qu'elle ne peut pas trouver la paix parce qu'elle n'arrive pas à faire face à la mort de sa mère. « Ce n'est pas vrai », dit-elle fermement. Françoise Seyler veut tout simplement éviter que d'autres personnes ne subissent le même sort que sa mère.

*nom changé par l'éditeur