J’ai deux mots à vous rire - Surface de destruction…
By Claude Frisoni Article only available in FrenchComme après un plongeon plat, notre chroniqueur s’étonne de la solidité de la surface de l’eau.
Pour faire mon malin et croire rajeunir, j’ai voulu montrer à un adorable petit gars marchant pieds nus dans les eaux limpides de la Dordogne, comment on fait des ricochets sur l’eau. Je me suis donc saisi d’un galet assez plat et, avec une souplesse du poignet digne d’un ancien champion de baby-foot, j’ai lancé le caillou sur la surface de l’eau. La pierre a fait trois élégants ricochets et je me suis mis à crâner fièrement, bombant le torse tout en m’efforçant de rentrer le ventre. C’est là que le petit bout, aussi mignon que malin et curieux, m’a demandé pourquoi le galet n’avait pas coulé et avait rebondi sur l’eau.
Cette question apparemment ingénue m’a conduit à m’interroger, bien que je ne connaisse rien à la mécanique des fluides, même pas du fluide glacial, sur le mystère de la surface. Pas de la surface de réparation évidemment, dont les secrets nous dépassent tous. Mais de la surface de l’eau.
Elle n’a, par définition, aucune épaisseur, ni volume, ni consistance. En fait, la surface n’existe pas. On la traverse du doigt sans effort, on la fend d’une brasse sans difficulté. On flotte dessus, comme d’innombrables d’objets. Et, à une exception près, on ne peut par marcher sur elle sans couler. Pourtant, elle peut briser une colonne vertébrale, fracasser un avion de ligne, détruire les structures les plus lourdes qui la percutent.
La surface de l’eau n’est pas matérielle et pourtant elle est d’une redoutable solidité. Elle n’est pas transportable, n’a pas de poids et pourtant elle est indestructible. Retirer deux centimètres d’eau dans un bassin n’enlèvera pas sa surface, qui demeurera tout aussi invulnérable. Et dangereuse pour qui l’affrontera de front, sans adopter l’angle le plus aigu possible.
Plus la surface de l’objet qui va la percuter est importante, plus la surface de l’eau est redoutable. Plus sa vitesse est grande, plus les dégâts seront graves. La surface de l’eau est comme un blindage fluide, souple et intelligent. Elle peut-être inoffensive ou terriblement dangereuse. Elle n’a que deux dimensions mais reste indestructible. Elle n’est que superficielle mais aussi dure que le béton.
Il en va de même de notre époque. Le superficiel y est devenu l’essentiel. Il n’est que surface, sans profondeur, sans consistance, sans épaisseur, sans volume ni substance, pourtant il est aussi dur que le béton. L’information fouillée, sérieuse, documentée, mesurée, vérifiée… ne tient pas face aux rumeurs, au buzz, à l’instantanéité, au sensationnel. L’enquête minutieuse, la recherche de preuves, l‘étude approfondie… ne font pas le poids face à l’affirmation gratuite, au bruit de chiotte, à la calomnie.
Le discours pondéré, argumenté, dialectique, éloquent et trop riche ne résiste pas à l’accumulation de petites phrases, de formules choc, de simplifications outrancières. Les bons coups, les coups tordus, les coups bas sont plus efficaces que les programmes, les réflexions, les visions.
Le fast food a plus de succès que les plats longuement préparés et mitonnés. La musique en tube, répétitive, sans ligne mélodique, générée par ordinateur est plus écoutée que les compositions les plus savantes. Les rimes pauvres, scandées comme des slogans publicitaires, les vers débiles, les refrains stupides repoussent la poésie dans les coins sombres de bibliothèques désertées. Les bateleurs sans talent, les stars sans éclat, les millionnaires du petit écran ont éclipsé les penseurs, les chercheurs, les trouveurs.
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