À force de tirer sur la corde

« Je ne sais jamais à quoi m'attendre. » C'est ce qu'explique Bea (nom modifié par la rédaction) au début de notre entretien et ce bien qu'elle travaille depuis 21 ans déjà dans la profession. Bea est infirmière dans un service de rééducation. « Est-ce que l'état de ton patient se détériore ou non ? Est-ce qu'il y a une urgence ou pas ? On ne peut pas le savoir à l'avance. Bien sûr, cette incertitude fait grimper ton niveau de stress. » Ce qui aide, c'est la répartition du travail, comme elle l'explique. « Cela signifie que je ne dois pas tout faire toute seule pour que le patient aille mieux. Je m'occupe de lui jusqu'à la fin de mon service. Ensuite, quelqu'un d'autre vient et poursuit mon travail. » Les derniers mois l'ont néanmoins beaucoup affectée. « Bien sûr que je suis fière de mon travail. Bien sûr, j'étais contente quand les gens nous applaudissaient le soir, mais tout ce que nous avons fait de plus en termes de travail a fini par nous ôter nos dernières forces », raconte Bea.

Au début, c'est la fierté qui l'a emporté, elle ne s'est pas vraiment rendu compte que son état mental se détériorait peu à peu. « Tu ne dors plus, tu as d'autres soucis, comme tes propres enfants qui sont soudain scolarisés à domicile. Un jour, ta batterie ne se recharge plus. » Outre les équipes et les heures qui semblent interminables à l'hôpital, une partie du travail était particulièrement pénible – l'interdiction des visites dans les hôpitaux. « J'ai appris à faire mon travail correctement. Mais je n'ai pas appris à dire aux gens qu'ils ne pouvaient pas rendre visite à leurs proches. Cela m'a détruite psychologiquement. » Elle décrit les derniers mois comme de petites gouttes isolées qui ont fini par faire déborder le vase. « Tout à coup, rien ne va plus. Tu deviens apathique. »

Elle se souvient d'un patient. « On lui avait administré un médicament pendant quelques heures. J'avais oublié de le noter. C'est un geste qui va de soi : tu notes tout. Je me suis tellement reproché d'avoir simplement oublié de le faire. » C'est l'une de ces petites gouttes qui l'ont « fortement déstabilisée ». En outre, elle a remarqué une chose qu'elle décrit comme « particulièrement flagrant » : le fait que ses collègues de travail aient de plus en plus de difficultés à tomber enceintes. « Le personnel de santé est tellement stressé », explique-t-elle. « Cela se répercute aussi sur le désir d'enfant. Il faut beaucoup plus de temps pour tomber enceinte. Et puis il y a aussi celles qui font une fausse couche et qui doivent y faire face, en plus de tout le reste du stress qu'elles doivent gérer. »